NIALL FERGUSON, PROFESSEUR D'HISTOIRE ECONOMIQUE À HARVARD
Auteur du best-seller « The Ascent of Money » (traduit en France aux Editions Saint-Simon), l'historien et économiste Niall Ferguson est persuadé que la concentration de l'épargne massive des Chinois sur des actifs en dollars (le « saving glut » selon Ben Bernanke) est un phénomène réversible.
Pensez-vous que le niveau considérable de réserves en dollars détenues par la Chine soit davantage aujourd'hui une menace ou un confort pour l'économie américaine ?
C'est une aide pour les Etats-Unis, mais une menace pour tous les autres pays. Washington a de toute évidence besoin de trouver des acquéreurs pour écouler ses 1.000 milliards d'émissions de bons du Trésor. Le problème est que l'indexation du renminbi sur le dollar permet aux Chinois de surfer sur la dépréciation du dollar. Lorsque le dollar baisse, le renminbi recule aussi. Et si vous regardez quel est l'effet sur le commerce mondial, cela tue la compétition. C'est le nouveau phénomène : la « Chinamérique » s'est muée en un nouveau système basé sur la dépréciation des deux monnaies. Ce qui est une très mauvaise nouvelle pour l'Europe et le Japon. Car il leur est impossible de rivaliser. Les Chinois font des gains de parts de marché aux dépens de tous les autres grâce à cette dépréciation. Pour ma part, je pense que le dollar va sans doute rester volatil, mais sur les six ou douze prochains mois, je pense qu'il pourrait encore connaître une dépréciation de l'ordre de 10 à 20 %. La Fed n'interviendra pas, car ce n'est pas son affaire. Bien sûr, personne ne dira : Comme disait le secrétaire au Trésor de Richard Nixon, John Connally : « Le dollar est notre monnaie mais votre problème_ »
Vous avez déclaré que l'administration Obama a tendance à surestimer la patience des Chinois en termes de politique de change ? Pensez-vous qu'elle a atteint ses limites ?
Je pense que les Chinois sont en effet beaucoup plus conscients des défauts actuels de la relation sino-américaine et nettement moins satisfaits de son évolution. Et ils sont clairement à le recherche d'alternatives. Lorsqu'on détient près de 2.000 milliards de dollars de réserves en dollars, il est logique d'avoir ce souci de diversification. Qu'ils optent en faveur de l'euro, de l'or ou des matières premières, la logique veut que Pékin commence à réduire le niveau de ses réserves en dollars pour s'orienter vers d'autres formes d'investissement. C'est d'ailleurs ce qui est en train de se produire. Je serais très surpris si le niveau des réserves en dollars atteignait 3.000 milliards d'ici à un an. Elles vont se stabiliser et même sans doute légèrement décliner, spécialement si la Chine accuse un déficit commercial, ce qui semble tout à fait possible l'année prochaine. C'est même souhaitable si l'on veut réduire les déséquilibres globaux.
Y a-t-il un risque de détérioration sensible des relations entre Pékin et Washington ?
Les relations se sont déjà sensiblement détériorées. D'un côté, il y a une puissance en plein essor, avec une croissance annuelle de 10 %, qui va clairement prendre le pas sur l'économie américaine avec ses 2 % de croissance par an. Il y a déjà une montée des critiques sur le rôle du dollar comme monnaie de réserve. Et il n'y a presque aucune communication entre les forces armées chinoises et américaines. Washington cherche à apaiser les craintes de Pékin. Mais les Chinois pensent que la consommation américaine ne reviendra pas à ses niveaux antérieurs. Ils ont une vision plus dynamique de la relation Chinamérique.
Quel est le principal risque aujourd'hui pour la politique économique de Barack Obama à vos yeux ?
Le doublement de la dette fédérale est extrêmement risqué. Même si Washington parvenait à réduire le déficit de moitié, cela restera à un niveau proche de 6 % du PIB. Il est impensable d'avoir un déficit de 1.000 milliards de dollars chaque année. Ce sera un test décisif du courage politique de Barack Obama. L'année dernière, une part de 7 % du budget fédéral a été affectée au service de la dette. Ce pourcentage pourrait monter à 20 % si aucune initiative n'est prise. A ce niveau, vous risquez de perdre votre crédibilité en tant qu'emprunteur souverain. Le problème d'Obama est qu'il est entouré de keynésiens persuadés que l'on peut résoudre le problème de la dette en émettant davantage de dette.
PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE DE GASQUET
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