lundi 9 novembre 2009

PORTRAIT - La « fille chinoise » du Kenya

Le Figaro, no. 20321 - Le Figaro, lundi, 30 novembre 2009, p. 11

Il fallait une preuve que la relation entre la Chine et l'Afrique n'est pas qu'opportunisme pétrolier contemporain mais remonte loin dans la grande histoire. Cette preuve a pris la forme du joli sourire d'une jeune Kényane de 23 ans, Mwamaka Sharifu, dont la part de sang chinois a été mise en avant par les médias à Pékin lors du premier sommet Chine-Afrique de 2006. L'histoire, telle qu'elle a été racontée à l'époque, est plutôt belle. Il y a quelque 600 ans, deux navires chinois se brisent sur les récifs de la côte kényane, dans l'archipel de Lamu. Les esquifs font partie de la flotte du célèbre amiral Zheng He, le grand eunuque de la Cour, qui gagnera ce titre magnifique d'amiral des mers de l'Ouest. Entre 1405 et 1433, sur ordre de l'empereur Zhu Di, il mène sept expéditions maritimes dans l'océan Indien, jusque sur les côtes somaliennes. Sa « flotte des trésors » aurait compté 200 jonques embarquant 27 000 hommes.

Du naufrage, une vingtaine de marins chinois ont survécu. La légende veut que les insulaires aient averti les rescapés qu'ils pourraient rester uniquement s'ils arrivaient à tuer un énorme python. Le serpent terrassé, les Chinois restent, se marient à des femmes du cru et se convertissent à l'islam. Depuis, ce souvenir a survécu, épaulé par ces porcelaines chinoises, passées intactes de mains en mains dans la famille de Sharifu.

L'histoire s'est réveillée en 2002, quand des diplomates chinois ont fait le voyage à Lamu. Sharifu a raconté que des experts sont venus prélever des cheveux de sa mère pour faire des tests ADN. La conclusion aurait confirmé une ascendance chinoise. En 2005, à sa demande, la « fille chinoise » du Kenya se voit offrir un cycle complet d'études en Chine. Elle apprend d'abord le chinois à Taicang, puis entame des études de médecine à Nankin. La fille de pêcheur kényan fait ainsi, un peu malgré elle, le lien entre la dynastie Ming et les ambitions africaines de la Chine actuelle.

Arnaud de la Grange

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