lundi 16 novembre 2009

PORTRAIT - Nien Cheng, victime de la Révolution culturelle chinoise

Le Monde - Carnet, mardi, 17 novembre 2009, p. 28

C'est une Mère Courage chinoise d'une trempe peu commune qui s'est éteinte lundi 2 novembre à Washington à l'âge de 94 ans. Nien Cheng, fille de grand propriétaire terrien née à Pékin en 1915, était parvenue à conserver après l'arrivée au pouvoir des maoïstes une qualité de vie " bourgeoise " dans le Shanghaï communiste, jusqu'à ce que la Révolution culturelle l'emporte dans sa tourmente .

Arrêtée en 1966, elle passera six années et demi de prison dans la maison d'arrêt numéro 1, une longue détention durant laquelle elle s'entêtera à ne rien avouer, à réfuter les accusations et à se jouer de ses interrogateurs qui la harcelaient dans une ambiance à la fois kafkaïenne et ubuesque. Elle décrira dans un style alerte, sans jamais s'apitoyer sur son sort, ce long cauchemar dans Vie et mort à Shanghaï, qui sera acclamé par la critique à sa sortie, en 1986. Le livre est rapidement devenu un best-seller.

Jusqu'à ce que le Grand Timonier décide de régler ses comptes avec ses adversaires en lançant sa Grande Révolution culturelle prolétarienne, des personnes comme Nien Cheng avaient réussi à s'adapter à la nouvelle Chine. Mais ses antécédents " féodaux ", son mariage avec un diplomate du Kuomintang - parti de Tchang Kaï-chek - et son rôle de conseiller du bureau de la compagnie pétrolière Shell à Shanghaï après la " libération " de 1949 finirent par lui valoir l'ire des gardes rouges.

Dans sa geôle chinoise, Nien Cheng avait été placée à l'isolement, languissant dans une cellule surchauffée ou glaciale selon les saisons. Le temps s'écoulait dans l'attente constante et angoissante des convocations d'interrogateurs dont l'obsession était de lui extorquer des aveux. Accusée d'avoir été une " espionne " pour le compte des services secrets britanniques, elle ne céda jamais.

Après sa sortie de prison, elle émigra au Canada, puis aux Etats-Unis. Dans un entretien accordé au Los Angeles Times en 1987, elle confiera : " En prison, je me suis senti humiliée par le fait que l'on puisse m'accuser, moi qui aimais mon pays, d'être une espionne. Je ne pouvais pas l'accepter, je devais me battre. Quelquefois, je devenais folle - j'étais rarement déprimée -, mais l'émotion qui prévalait chez moi, c'était la colère. "

C'est probablement cette rage qui avait permis à Nien Cheng de survivre. En 1973, ses tortionnaires - car elle sera parfois frappée, ramenée dans sa cellule les mains si violemment menottées qu'elle portera à vie des marques sur les poignets - lui font savoir que les autorités ont décidé de la relâcher, la prisonnière ayant montré des signes de " repentance ".

Une fois de plus, elle s'insurgera, allant jusqu'à refuser de sortir tant que l'on ne lui aura pas présenté des excuses pour des " accusations mensongères ". Elle fut finalement jetée à la porte de la prison.

" Rester fidèle à la Chine "

A sa sortie, Nien Cheng n'est pas au bout de ses douleurs. Les autorités lui font savoir que sa fille Meiping, une très belle actrice, s'est " suicidée " au début de la Révolution culturelle. Sa mère finira par apprendre que l'information officielle a camouflé le meurtre de Meiping, torturée par les gardes rouges, qui voulaient se venger de l'obstination de sa mère à ne rien avouer.

Nien Cheng avait fini, dans les années 1980, après la chute de la " bande des quatre ", par être réhabilitée. C'est alors qu'elle obtint un visa de sortie. Sur le bateau qui l'emporte sur le Yangzi, en 1980, elle songe, alors qu'elle quitte pour toujours son pays : " Je me sentais si triste de partir à jamais du pays de ma naissance. Dieu sait pourtant à quel point j'avais fait tout mon possible pour rester fidèle à la Chine. Et si j'ai échoué, ce n'est pas de ma faute. "

Bruno Philip

28 janvier 1915

Naissance à Pékin

1966

Arrestation suivie de six ans et demi de détention

1986

Publication de " Vie et mort à Shanghaï "

2 novembre 2009

Mort à Washington

© 2009 SA Le Monde. Tous droits réservés.

Bookmark and Share

0 commentaires: