jeudi 19 novembre 2009

Quand l'Union européenne inspire l'Asie de l'Est - Arnaud de la Grange

Le Figaro, no. 20321 - Le Figaro, lundi, 30 novembre 2009, p. 8

Vue d'Asie, l'Europe paraît souvent bien petite, divisée, impuissante et tellement moins stratégique que la grande Amérique. Et pourtant, paradoxalement, son modèle d'organisation si critiqué est cité en exemple par les partisans d'une plus grande intégration régionale. Le nouveau premier ministre japonais, Yukio Hatoyama, avait bien sûr en tête l'exemple de l'Union européenne quand il a proposé récemment au président chinois, Hu Jintao, d'avancer sur un projet de « Communauté d'Asie de l'Est ». Le premier ministre Wen Jiabao y a vu un intéressant « objectif à long terme ».

L'idée n'est pas nouvelle, et chemine dans les esprits depuis les années 1990. De fait, la région est en retard sur bien des parties du monde en termes d'intégration économique et, encore plus, d'architecture politique et de sécurité. Mais ces projets sont ravivés par la dynamique régionale. C'est en effet une nouvelle Asie, profondément remodelée par l'émergence chinoise, que trouve face à lui Barack Obama. Le grand allié régional des États-Unis, le Japon, laisse la place de numéro un économique et politique à la Chine dans la région, et va bientôt lui lâcher aussi le titre de deuxième économie mondiale. À Pékin, on aime rappeler que les seuls PIB cumulés de la Chine et du Japon représentent un sixième de l'économie mondiale. Et que si on ajoute la Corée et les pays de l'Asean (Association des pays du Sud-Est asiatique), le score monte à un cinquième.

Divergences vertigineuses

Le concept a repris encore plus de vigueur avec la nouvelle donne japonaise. « Si le nouveau gouvernement japonais prend réellement de la distance avec les États-Unis, cela peut avancer, estime le professeur Yan Xuetong, directeur de l'Institut des relations internationales de la grande université Tsinghua. Pour prendre une comparaison européenne, si le Japon joue le rôle d'Allemagne de l'Asie de l'Est, cela bougera, alors que s'il joue le rôle de la Grande-Bretagne, avec une relation aussi privilégiée avec les États-Unis, cela n'avancera pas. »

À l'aune des contentieux historiques et des vertigineuses divergences idéologiques entre les grands acteurs de la région, cette intégration régionale a encore beaucoup d'obstacles devant elle. Mais les instances de discussions se sont multipliées, en général en réaction à des problèmes précis se posant à tous. Et cette semaine, un rapport d'un influent think-tank américain, le Council on Foreign Relations (CFR), avertit des risques de perte d'influence si Washington n'y joue pas un rôle plus actif. Il fait remarquer que les défis les plus grands concernent l'Asie de l'Est et recommande une approche pragmatique. Il préconise de lancer l'idée d'un mécanisme « à cinq » (les « six » moins la Corée du Nord : États-Unis, Chine, Japon, Corée du Sud, Russie) qui se pencherait sur les questions énergétiques, environnementales et économiques. Il reste à savoir si Pékin est prêt à faire cette place à son grand partenaire américain dans ce qui devient de plus en plus « sa » région.

En attendant, l'Administration Obama a déjà envoyé un petit signe en signant cet été le Traité d'amitié et de coopération de l'Asean, qui vise à aider à résoudre de manière pacifique les conflits de la région. L'Administration Bush s'était refusée à le signer et le geste d'Obama a été perçu comme une volonté de ne pas laisser à la Chine le monopole de l'influence stratégique dans la région. « Les États-Unis sont de retour » en Asie avait déclaré alors depuis la Thaïlande Hillary Clinton, laissant entendre que George Bush l'avait un peu trop négligée.

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