Avant le sommet de Copenhague, le chef de l'Etat mobilise une partie du monde pour mettre la pression sur son homologue américain. Depuis un an, il se refuse à laisser le président des Etats-Unis, véritable star planétaire, occuper seul le devant de la scène. C'est le choc de deux ego.
Quand je me regarde, je me désole, quand je me compare, je me console... Nicolas Sarkozy a trouvé un moyen de "se consoler" : il suffit, à ses yeux, de "se comparer" à Barack Obama. A ses ministres, aux dirigeants de la majorité, à quelques journalistes reçus récemment, le Français décrit le président en butte à de véritables embûches. Pas lui, l'autre. "Qu'est-ce qu'on dirait si j'avais perdu des élections comme ça ? Rendez-vous compte, il [le chef d'Etat américain] est allé quatre fois, oui, quatre fois dans l'Etat du New Jersey", lance-t-il, en joignant le geste à la parole, après la défaite des démocrates lors d'élections pour des postes de gouverneur, le 3 novembre. Un autre jour, il remarque : "Obama est au pouvoir depuis un an, il a perdu les trois élections. Depuis septembre, j'ai eu deux législatives partielles, nous les avons gagnées ; il y a quatre mois, nous avions des élections européennes, nous sommes sortis vainqueurs." Pour ne pas "se désoler", il évite de rappeler que, l'année qui a suivi sa victoire de 2007, il avait, lui aussi, subi une lourde défaite aux municipales.
Nicolas Sarkozy a les yeux fixés outre-Atlantique. Une simple observation ? Une vraie obsession ! Qui commence dès l'arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche. Le chef de l'Etat français termine alors un semestre, à la tête de l'Union européenne, qui lui a donné un certain éclat international. Mais voilà qu'une star politique mondiale attire d'un coup tous les regards. Au lendemain des fastueuses cérémonies d'investiture de son homologue américain, le 20 janvier 2009, Sarkozy s'exclame, en Conseil des ministres : "Si j'avais fait pareil, que n'aurait-on pas dit !" La magie irrationnelle entourant chacun des actes du premier président noir de l'histoire des Etats-Unis irrite le Français. En avril, dans l'avion qui le ramène du sommet de l'Otan à Strasbourg, devant des élus qui s'extasient de la manière dont Obama accapare la lumière, il réplique : "Attendez de voir..." Deux mois plus tard, alors que lui-même est critiqué pour la brièveté d'un séjour aux Antilles, il rétorque : "C'est pareil pour Obama, il n'a dormi qu'une seule nuit à Paris en juin" (deux, en réalité, lors d'une visite au cours de laquelle il ne se rend pas à l'Elysée, se contentant de rencontrer Nicolas Sarkozy à la préfecture de Caen).
"Je vais lui demander de marcher sur la Manche et il va le faire !"
Un ovni parmi les présidents, voilà qui n'est pas du tout du goût du Français. Au début de l'année, il a déjà annoncé à ses ministres que la popularité d'Obama "tomberait au bout de trois mois", mais l'état de grâce de l'Américain se prolonge. Avant sa venue sur les plages de Normandie, il se moque : "Je vais lui demander de marcher sur la Manche et il va le faire !" En marge du G 20 de Pittsburgh, en septembre, il réconforte la chancelière allemande, Angela Merkel, déçue qu'Obama n'honore pas de sa présence le 20e anniversaire de la chute du mur de Berlin : "Si tu fais de gros efforts, tu auras droit à une lettre de sa part, et si tu fais des bassesses, il ajoutera "Amicalement" à la main !"
Vous voyez bien que vous voyez mal... Lorsqu'il regarde le dirigeant américain, Nicolas Sarkozy ne voit pas le même homme que l'opinion internationale - et française. "Les gens l'ont perçu comme un président planétaire, presque le bienfaiteur de l'humanité, or il est le président des Etats-Unis, défendant d'abord les intérêts de son pays", note un conseiller de l'Elysée. "Sarkozy trouve qu'Obama est forcément considéré comme le "good guy", quoi qu'il dise, quoi qu'il fasse, alors que lui pense connaître ses faiblesses", ajoute un ministre français.
Le sommet du G 20 sur la crise financière, à Londres, en avril, sert de révélateur. Jusqu'à présent, Nicolas Sarkozy s'est trompé de registre dans ses relations avec le président américain, jouant la carte de la familiarité face à une personnalité que les diplomates décrivent comme "réservée", voire "hautaine". C'est "mon copain", avait-il expliqué au Figaro, en juillet 2008, après l'avoir rencontré à peine une fois. Dans la capitale britannique, les négociations prennent une tournure qui n'a rien d'amical. Un membre de la délégation française, presque nostalgique de l'époque Bush, où les choses étaient "difficiles, mais claires", raconte : "Obama est comme Angela Merkel, à la tête d'une coalition, tant le parti démocrate est une agglomération de différentes tendances. Du coup, il adopte rarement des positions tranchées et louvoie en permanence. Si on était méchant, on dirait qu'il gouverne à la godille. Au moment le plus tendu - la question des paradis fiscaux - il est resté silencieux."
Tous les deux veulent être en première ligne
A son retour, Nicolas Sarkozy dresse, en privé, un portrait sévère de son partenaire : "En fait, il n'a pas beaucoup d'expérience, il n'a jamais été ministre des Finances [contrairement à lui et au Premier ministre britannique, Gordon Brown]. Il n'y a pas que la forme en politique, pas que le glamour, il y a les dossiers !" Le 2 novembre, un dessin du New York Times est particulièrement apprécié à l'Elysée, sur le thème "Il parle beaucoup, mais n'agit pas" : on y voit Obama, sommé d'indiquer ce qu'il compte faire à l'égard des compagnies d'assurances qui échappent à la loi antitrust, se contenter de marteler à plusieurs reprises à quel point cela le met en colère.
La difficulté de décider : c'est aussi le reproche que lui adresse la France à propos de sa diplomatie. "Il prône une politique humaniste et morale, mais les exigences morales et la pratique ne vont pas forcément de pair, parfois, il faut trancher", estimait, en septembre, Bernard Kouchner. La préparation du sommet de Copenhague sur le climat, en décembre, suscite un regain de tension entre Paris et Washington et confirme Nicolas Sarkozy dans son analyse : Obama est d'abord préoccupé par des contraintes de politique intérieure, le Congrès et les lobbys. "Les Etats-Unis sont plus difficiles à convaincre sur ce dossier que la Chine", relève le secrétaire général de la présidence, Claude Guéant. L'Elysée s'efforce de "contraindre ceux qui ne veulent pas s'engager à le faire" : la réduction des émissions de gaz à effet de serre doit, selon la France, faire l'objet de "règles et d'objectifs chiffrés". En Arabie saoudite, le 18 novembre, au Brésil pour un sommet des Etats de l'Amazonie, le 26, puis lors d'une réunion du Commonwealth, à Trinidad-et-Tobago, le lendemain, Nicolas Sarkozy mobilise une partie du monde pour augmenter la pression sur les Etats-Unis - et sur la Chine. "Il faut que Copenhague soit une affaire de chefs d'Etat, que tous les Européens soient là, avec le Brésilien Lula et beaucoup d'autres, pour prouver que les absents ont tort", détaille un ministre français, alors que la participation du président américain est tout sauf acquise. Face au leadership naturel d'Obama, Sarkozy entend se servir de ce rendez-vous crucial sur l'environnement pour tenter d'incarner une forme d'alternative. "C'est pas moi, c'est Obama, c'est pas nous, c'est la Chine, c'est jamais nous, c'est toujours les autres", ironisait, le 21 novembre, la secrétaire nationale des Verts, Cécile Duflot, à propos de la stratégie de la France.
En octobre, Newsweek, qui consacrait sa Une au "complexe Obama de Sarkozy ", écrivait que les deux hommes partageaient "une vision semblable d'un ordre économique mondial plus juste et régulé, mais - et c'est une partie du problème - [que] les deux [voulaient] être en première ligne de toute initiative : Obama parce qu'il est président des Etats-Unis et Sarkozy parce qu'il est tellement ambitieux". Bien sûr, le chef de l'Etat français nie publiquement toute rivalité. "Je sais quelle est ma place, je suis le président d'un grand pays, il est le président de la première force économique du monde", déclare-t-il le 23 septembre à la télévision.
"On est des Suisses, pour eux"
Mais son caractère le pousse à vouloir traiter d'égal à égal avec lui. Au moins sur les photos. Ce fut l'enjeu de la bataille de Normandie, version 2009. Au départ, se rappelle un responsable de l'UMP, Nicolas Sarkozy imagine pour les commémorations du débarquement "une grande fête sur les plages, avec juste lui et Obama". L'ambassade de France à Washington est entièrement mobilisée pour l'opération. Qui ne verra jamais le jour - Anglais, puis Canadiens se mêleront à l'anniversaire. Le bras de fer se poursuit pour l'organisation des cérémonies, sur un territoire américain : le cimetière de Colleville. Nicolas Sarkozy refuse de s'exprimer derrière un pupitre sur lequel figure le blason des Etats-Unis. Les collaborateurs d'Obama ont beau montrer à ses conseillers des photos de François Mitterrand et de Jacques Chirac ayant accepté de le faire, ce ne sont pas ces précédents qui le convainquent. "Les temps ont changé, s'il le faut, nous apporterons notre propre pupitre", prévient l'Elysée. Un compromis sera trouvé : le blason sera un sticker que les Américains colleront pour l'allocution de leur président. "On est des Suisses, pour eux", constate un ami de Nicolas Sarkozy, qui observe que l'Allemagne n'est guère mieux traitée par Obama que la France.
"C'est un gars bien [sic] !", assurait récemment Nicolas Sarkozy, en plein Conseil des ministres : le président français, si souvent dithyrambique sur l'Anglais Gordon Brown, affichant volontiers sa complicité avec le Brésilien Lula (voir l'encadré ci-contre), n'a jamais autant apprécié Barack Obama que depuis que celui-ci se heurte à de sérieuses difficultés - le 18 novembre, sa cote de popularité est passée pour la première fois sous la barre des 50 %. A un membre du gouvernement, il confie son inquiétude de voir l'Américain être assassiné. Il se plaît à croire et à montrer que ses avis comptent : sur le dossier afghan, il est persuadé qu'il doit "l'aider à trancher", comme il est convaincu que c'est lui qui l'a incité à "ne pas céder à l'immobilisme" lors du sommet de Pittsburgh, lui encore qui a permis de trouver une solution lors de la nomination du Danois Anders Fogh Rasmussen comme secrétaire général de l'Otan, au printemps, malgré l'hostilité de la Turquie, alliée traditionnelle de Washington.
Commentant, devant ses ministres, la réforme de la santé lancée aux Etats-Unis, Nicolas Sarkozy dit également avoir recommandé à son homologue de ne pas avancer que sur un projet à la fois : "Dans ce cas, on a tous les ennuis et, en plus, les regrets de ne progresser que dans un secteur." "Obama veut toujours donner la parole à tout le monde et prendre le temps de la réflexion pour trouver une approche consensuelle", semble regretter un conseiller élyséen. "La déception de Sarkozy, c'est celle de beaucoup d'Américains, qui pensaient que les choses iraient beaucoup plus vite, malgré les lenteurs du système", pointe le correspondant à Paris de Time Magazine, Bruce Crumley. On le reconnaît bien là : le président français suggère surtout à Barack Obama d'être aussi sarkozyste que lui. Sauf que ce dernier ne l'est pas du tout.
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