Après la visite de neuf jours d'Obama en Asie, le communiqué sino-américain marque un tournant : la Chine et les Etats-Unis y traitent, en superpuissances égales, de tous les problèmes mondiaux, de l'écologie à la crise financière, de la défense aux droits de l'homme et au nucléaire ; et même des problèmes bilatéraux entre la Chine et l'Inde.
Après la "guerre", l'"après-guerre" et la "guerre froide", les optimistes ont expliqué qu'on entrait dans une période pouvant être définie comme la "fin de l'Histoire", la "paix perpétuelle" dont parlait Kant. Les pessimistes, eux, pensaient au contraire que commençait une période de chaos, où le terrorisme et le non-droit balaieraient les nations. En réalité, cette nouvelle phase de l'histoire du monde devra sans doute être désignée sous le nom de "guerre pacifique" et opposera pour l'essentiel les Etats-Unis et la Chine.
Ces deux pays sont désormais les deux premières puissances économiques du monde, devant le Japon et l'Allemagne. Ils sont incroyablement interdépendants : les Américains ont pu financer leur croissance par l'épargne chinoise, permettant aux plus pauvres d'entre eux, artificiellement enrichis par les plus-values virtuelles de leurs maisons, d'acheter des produits chinois, et donnant en retour à la Chine les moyens de dégager une énorme épargne. Leurs élites s'interpénètrent : alors que les Chinois viennent déjà en masse faire leurs études dans les universités américaines, le président Obama vient d'annoncer son intention d'envoyer, dans les quatre prochaines années, au moins 100 000 jeunes Américains faire leurs études en Chine.
Ces deux pays sont aussi, de plus en plus, rivaux en d'innombrables domaines, et on les verra s'affronter sur tous les terrains : pétrole, matières premières, écologie, contrôle des mers, influence en Afrique, Asie centrale, Russie et même en Inde et en Europe. Le mois prochain, on découvrira, par exemple, que la Chine produit et commercialise des avions civils concurrents de ceux de Boeing et d'Airbus. Toute la géopolitique va changer. Dans le Pacifique, où les Etats-Unis se croyaient les seuls maîtres après la disparition de l'URSS, les deux superpuissances commencent à se mesurer militairement : la Chine dispose désormais d'armes balistiques assez précises pour détruire des navires naviguant jusqu'à 1 500 kilomètres de ses côtes, chassant ainsi de cette zone les cinq porte-avions américains qui y croisent en toute souveraineté. Demain, elles se jaugeront de même en Asie - du Sud et centrale - en Sibérie, peut-être.
La crise économique actuelle marque le début de ce conflit : la Chine s'inquiète de voir son épargne fondre avec l'endettement de l'Etat américain, lequel, en retour, dénonce la surévaluation du yuan. Les Etats-Unis, qui se croyaient devenus seule superpuissance et pensaient le système communiste condamné à Pékin comme à Moscou, voient la Chine s'installer dans la durée et leur enseigner ce qu'ils doivent faire pour ne pas décliner.
Pour l'instant, les maîtres de la "guerre pacifique" mettent en place les conditions de leur cogestion du monde : un G 2, masqué en G 20, fait d'embrassades et de coups bas, remplace peu à peu le duopôle américano-soviétique de la guerre froide.
Naturellement, de tout cela, l'Europe est absente.
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