La griffe a profité de l'inauguration de sa nouvelle adresse chinoise pour présenter, jeudi dernier, la collection dédiée à ses métiers d'art.
Il ne manquait plus que ça. Coco en Chine ! Avec des artisans de génie, on peut tout faire, tout imaginer. Même les tribulations du tweed dans un pays où Gabrielle Chanel n'a jamais mis les pieds. C'était le message de Karl Lagerfeld, à Shanghaï la semaine dernière, où la marque aux deux C inaugurait sa cinquième boutique chinoise et présentait la collection « Métiers d'art Paris-Shanghaï ». Le bottier Massaro, le plumassier Lemarié, le chapelier Michel, le brodeur Lesage, le parurier Desrues..., tous rachetés par Chanel au fil des dix dernières années ont oeuvré pour cette collection d'exception. Résultat, des looks de prêt-à-porter aussi travaillés que des modèles haute couture.
De ces lointains horizons, Mademoiselle Chanel ne connaissait que la laque chinoise de ses paravents Coromandel qui trônaient dans son salon parisien. Du coup, Karl a rêvé pour elle (et pour nous, à voir sur www.chanel-news.com) une Chine qu'il a filmée dans un court-métrage présenté en introduction au défilé. On y voit Coco débarquer dans la chambre de deux jeunes maoïstes et les convertir à la veste en tweed, leur nouvel uniforme. Plus jeune, elle croise Marlène Dietrich dans l'Orient-Express, joue aux cartes dans un tripot shanghaïen de luxe avec Wallis, pas encore duchesse de Windsor, rencontre le jeune empereur et sa mère ou une magnifique espionne asiatique soyeuse et fuyante... Les Chinois présents dans le public s'esclaffent aux quelques mots de mandarin maladroitement prononcés par les mannequins et amis qui jouent dans le film. On rit, on est subjugué par le talent de KL à manier la caméra et à faire revivre, même sur le mode de la caricature, une Coco dévorée d'ambition et de reconnaissance. On s'étonne tout de même que la délicieuse Anna Mouglalis, comédienne et égérie de la maison, n'y tienne aucun rôle. Elle y aurait été une duchesse de Windsor parfaite. Anna tiendra sa revanche quelques heures plus tard lors de sa performance pendant la soirée Coco Cabaret où, aux côtés de Vanessa Paradis, non moins captivante, elle chantera quelques titres d'une voix susurrée.
Tweed à la mode chinoise
Bref, Karl Lagerfeld donne une fois de plus la mesure de sa liberté à jouer avec les codes Chanel, mixés, pour l'occasion, à ceux de l'empire du Milieu. Ici, le col mandarin est aussi haut que le pied de col des chemises blanches de mister K. Là, dans le satin duchesse jaune impérial, il coupe une jupe à pli creux, ailleurs, c'est le vert militaire du Grand Timonier qui teinte le tweed. On reconnaît sur la maille le matelassé des vestes chinoises ou des motifs de lampions rouges. Les talons sont sculptés comme des ivoires anciens. On retrouve une allusion, en plumes brodées, aux motifs des Coromandel de CC. Les mannequins portent des minisacs à casse-croûte de la Chine ouvrière et des chapeaux en vannerie laquée des cueilleuses de riz. Le cuir appliqué en éventail couleur poudre à canon - inventée par les Chinois - donne au vêtement un côté cuirassé. De la même manière, les plastrons d'émail cloisonné évoquent la tenue de guerriers de terre cuite enfouis dans le sol de Xian. La collection fourmille de pistes, d'allusions, de références, mais rien n'est littéral. On serait presque tenté de dire malheureusement, car on regrette parfois ne pas avoir assez vu de robes façon années 1950-1960 à la In the Mood for Love. « Façon Anna Karina » clament en choeur Karl Lagerfeld et Virginie Viard, son bras droit au studio Chanel, qui a poussé l'esprit « nouvelle vague » de cet opus asiatique. Côté bijoux, la maison de couture n'est pas en reste. Les colliers mêlent chaînes patinées vieil argent et fils de soie, émaux, ceintures de pièces d'argent, broches et bracelets dragons, boucles d'oreilles de concubines, bijoux de cheveux. Mais Karl L., en filmant le voyage imaginaire de Chanel dans une certaine Chine, se fait l'interprète de la campagne de conquête menée par la griffe aujourd'hui.
Une clientèle de plus en plus pointue
Au rez-de-chaussée de l'hôtel Peninsula, ouvert il y a dix jours, les 488 m de la nouvelle boutique Chanel signée Peter Marino sont fraîchement terminés. Ils accueillent, entre autres, une collection rouge, spécialité éphémère offerte aux Shanghaïennes comme cadeau de bienvenue. « Depuis trois ans, nous investissons particulièrement au Moyen-Orient, en Russie, en Chine, d'où cette collection »Paris-Shanghaï* », explique Bruno Pavlovsky, président des activités mode de la griffe de la rue Cambon. « Cette nouvelle boutique est désormais un de nos flagships majeurs en Asie (hors Japon, NDLR). » Offensive sur la Chine, certes, mais pourtant, Chanel ne totalise que cinq boutiques sur le territoire chinois. À quoi Pavlovsky répond : « Peu, mais bien. On procède par étapes. » Par étapes, est-ce ainsi que les Chinoises aborderont les mythiques deux C ? « La porte d'entrée de la marque, c'est bien sûr le sac. Cependant la clientèle, ici, a beaucoup changé récemment. Elle devient de plus en plus pointue en mode. » Au pays de la copie, le savoir-faire Chanel, les interventions du fleuron de l'artisanat français et la mention « made in France» valent de l'or. Le tweed, nouvel opium du peuple ?
© 2009 Le Figaro. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire