Un Français, Paul Bojarski, parcourt la Chine à la recherche des stations de ski de demain, alors que la classe moyenne chinoise découvre les vacances à la neige.
«Cette montagne est l'une des plus belles du monde ; peut-être encore meilleure que les Trois Vallées, en Savoie », sourit Paul Bojarski, en pointant du doigt une carte topographique qu'il a lui-même établie. Cet entrelacement de courbes de niveau et de cours d'eau représente « Dashuigo », un relief perdu au coeur du Sichuan, une province du centre de la Chine, dans une zone sauvage qu'on atteint après deux jours de marche. « Aujourd'hui, cette montagne ne vaut rien. Mais dans quelques années, elle pourrait devenir l'une des meilleures stations de sports d'hiver d'Asie, et une aubaine pour les investisseurs », affirme Paul Bojarski.
Depuis dix ans, ce « chasseur de montagnes » arpente la Chine à la recherche de sites propices à l'installation de stations de ski. Dans le reste du monde, les montagnes sont déjà équipées. « La Chine est le dernier pays où l'on puisse pratiquer ce métier », explique ce Parisien de 60 ans. Ce métier, il l'a appris auprès de « maîtres tels que Jeannot Cattelin, de Courchevel, ou André Bossonney, de Chamonix ». Avec ce dernier, au Chili, dans les années 1980, il apprend à interpréter les signes de la montagne. En évaluant par exemple la direction et la force des vents dominants en fonction de la courbure de la cime des arbres, ou encore l'enneigement hivernal en inspectant l'aspect des buissons.
L'essentiel de l'évaluation d'un site se déroule sur le terrain, durant des randonnées de plusieurs jours en pleine nature. Des expéditions durant lesquelles Paul et son équipe s'évertuent à être aussi discrets que possible. Dashuigo, par exemple, est un nom de code : « Nous ne pouvons pas utiliser l'appellation réelle du lieu tant que le projet n'est pas complètement ficelé et que la montagne n'est pas contrôlée. » Contrôler la montagne ? C'est s'assurer légalement la maîtrise des sources d'eau et des droits de construction de routes, pour neutraliser la concurrence.
Le secret est aussi préservé afin d'éviter toute frénésie collective. « Dans les endroits où nous allons, vivent des paysans très pauvres ; ça ne sert à rien de les faire rêver, car le projet ne débouche pas toujours. » Et lorsqu'elle se confirme, l'installation d'une station bouleverse brutalement la vie des habitants. Ce sera le cas à Merlin, en Mongolie-Intérieure. Il a sélectionné ce site, qui sera inauguré fin décembre. Il devrait recevoir un investissement de 40 millions d'euros, pour un bénéfice prévu de 400 millions d'euros sur dix ans. De quoi attiser les convoitises, et provoquer de « dramatiques querelles de clocher, qui peuvent s'envenimer pendant des générations, comme ce fut le cas dans certaines vallées alpines ».
Selon les projections, avec l'élévation du niveau de vie des Chinois, le nombre de skieurs devrait passer de moins de 300 000 aujourd'hui à près de 40 millions dans quinze ans. D'ici là, une trentaine de grandes stations, dotées d'au moins 40 kilomètres de pistes, pourraient voir le jour.
Une aubaine pour Mountain & Snow Limited, la société fondée par Paul Bojarski. Car ces dernières années, beaucoup d'investisseurs chinois, qui voulaient construire une station par eux-mêmes, ont utilisé de mauvais critères de sélection, et n'ont obtenu qu'une médiocre rentabilité. Ainsi échaudés, certains sollicitent désormais l'expertise de Paul Bojarski. Non seulement pour le choix de la montagne, mais aussi pour les plans de la station et la définition du modèle économique. « Bien sûr, les Chinois apprendront peu à peu. Mais lorsqu'ils auront acquis suffisamment d'expérience, il sera trop tard » : le dernier marché du monde sera alors saturé, et avec lui disparaîtra la profession de « chasseur de montagne ».
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