samedi 19 décembre 2009

COPENHAGUE - Maurice Strong, le vétéran des réseaux - Yasmine Berthou

La Croix, no. 38541 - Autrement dit/Que sont ils devenus, vendredi, 18 décembre 2009, p. 23

À l'occasion du sommet de Copenhague, « La Croix » a présenté cette semaine cinq précurseurs ou négociateurs qui ont bataillé pour faire triompher leurs idées sur le changement climatique.

Certains le qualifient de père fondateur de la lutte contre les changements climatiques. D'autres, aux États-Unis notamment, lui reprochent de vouloir contrôler le monde, l'accusant pêle-mêle de relations douteuses avec la Corée du Nord, de liens avec l'Église de scientologie, voire d'être « socialiste ». Maurice Strong, 80 ans, est un touche-à-tout, combinant sans complexe des activités lucratives dans le secteur de l'énergie avec des engagements onusiens au plus haut niveau, notamment aux côtés de l'ancien secrétaire général Kofi Annan.

Dès 1972, il est là, secrétaire général de la première conférence de l'ONU sur l'environnement, à Stockholm, qui conduira à la création du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), dont il sera le premier directeur. La communauté internationale commence seulement à réaliser que la course au progrès économique s'accompagne d'effets pervers pour l'environnement. « Ce sujet paraissait futile aux gouvernements, se souvient-il. J'ai fait en sorte que cela change et que les pays en voie de développement s'intéressent à ce sujet. »

Petit homme à l'allure effacée, Maurice Strong avait bien caché son jeu. Issu d'une famille modeste originaire du Manitoba, dans les vastes prairies canadiennes, il s'était lancé tout jeune dans la prospection et la gestion de matières premières. À 25 ans, il est millionnaire, ayant fait fortune dans le pétrole et l'immobilier. Quelques années plus tard, fasciné par les enjeux internationaux, ce surdoué saute dans le bain onusien. C'est un champion du réseautage : il ne passe pas une journée sans parler à des hommes d'affaires, des responsables politiques, des éminences religieuses.

En 1992, Maurice Strong est à nouveau le secrétaire général d'un rendez-vous décisif : la conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement, connue comme le sommet de la terre, à Rio de Janeiro. C'est là que fut actée la notion de développement durable. Les discussions y furent vives, raconte-t-il. « La science n'en savait pas autant qu'aujourd'hui et il était moins aisé d'avancer des chiffres pour prouver la réalité des changements climatiques. Mais les scientifiques sont parvenus à un relatif consensus qui ne permettait plus de nier l'impact néfaste de l'industrialisation à tout prix sur l'écosystème planétaire. Ce sont finalement ces progrès scientifiques, relayés par les médias, qui nous ont permis de convaincre les responsables politiques, mais aussi l'opinion publique, de l'urgence d'agir pour sauver la planète. »

Une pléthore d'engagements découla de ce sommet : un plan mondial en faveur du développement durable, la déclaration de Rio sur les droits et les responsabilités des États, la convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique qui conduira au protocole de Kyoto sur la limitation des émissions de gaz à effet de serre, etc. Un résultat qu'il regarde toujours avec fierté.

Près de quarante ans après sa propre prise de conscience, Maurice Strong a du mal à comprendre pourquoi des gouvernements hésitent encore à passer à une vitesse supérieure. « Nous savons comment faire la transition vers une économie plus durable et nous savons pour quelles raisons il est urgent de prendre des décisions plus radicales », insiste- t-il. Grand connaisseur de la Chine, où il réside la plupart du temps, il fait passer le message à l'université de Pékin, où il assume la présidence honorifique d'une Fondation pour l'environnement.

S'il n'occupe plus le devant de la scène, il n'a pas renoncé à y jouer un petit rôle. Il s'est rendu au sommet de Copenhague, sans aucun rôle officiel, mais prêt à y donner quelques petits conseils...

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