samedi 19 décembre 2009

La fin de l'espoir... - Philippe Manière

Marianne, no. 661 - Ils ne pensent pas (forcément) comme nous, samedi, 19 décembre 2009, p. 28

EXTRAIT :
A quel prix ! nous dira-t-on. La Chine, justement, engloutit nos emplois et détourne notre croissance.
Faux. Sur les vingt ans du boom chinois, les pays développés ont tous vu leur économie grossir de 20 % (Suisse, Japon) à 70 % (Australie, Pologne, Norvège...) - le PIB français a grimpé de 30 %. Sur ces mêmes vingt ans, le nombre d'emplois marchands s'est accru (hors années de récession, comme 1993 ou 2009) de 1 à 2 millions par an aux Etats-Unis et de plusieurs centaines de milliers par an en France. Oui, le boom chinois détruit certains jobs délocalisés, mais il n'empêche nullement la croissance de l'emploi en Occident. L'irruption des nouveaux géants asiatiques n'a même pas oblitéré la domination des grands acteurs traditionnels : entre 1974 et 2005, les Etats-Unis ont maintenu leur part de la production mondiale exactement au même niveau (un peu plus d'un quart). La seule vérité économique éternelle, c'est qu'il y a de la place pour tout le monde.

On se souvient de la " fin de l'histoire ", thèse développée au moment de la chute du Mur par Francis Fukuyama : l'économie de marché et la démocratie avaient triomphé, l'humanité entrait dans une période de croissance et de paix universelles. Ce bel irénisme devait se fracasser le 11 septembre 2001 sur l'inusable violence du monde. Mais le balancier ne s'arrête jamais en son milieu. A l'optimisme béat de la fin du XXe siècle devait succéder, dans tout l'Occident, une sorte de pessimisme total. Résurgence des extrémismes, angoisse climatologique, bulles financières et crise économique : tout semble conspirer à engloutir notre avenir - du moins dans le discours des prophètes de malheur qui tiennent, à leur tour, le haut du pavé. Après " la fin de l'histoire ", on nous joue " la fin de l'espoir "...

L'entièreté de la nouvelle antienne est tout aussi ridicule que celle de la précédente. Que l'humanité soit aux prises avec de graves défis, c'est peu contestable - mais ce n'est pas la première fois. Que l'Occident vive douloureusement l'érosion d'une sorte de primat si ancien qu'il lui semblait naturel, c'est une évidence - mais ce n'est pas forcément un mal. En tout cas, si l'on veut bien regarder les chiffres plutôt que de sombrer dans l'eschatologie pavlovienne, il n'est pas difficile de se convaincre que les bouleversements en cours n'abolissent ni le " progrès ", ni l'espoir.

D'abord, à l'autre bout de la planète, pour des centaines de millions d'hommes et de femmes, jamais il n'y a eu tant de raisons d'espérer en l'avenir. Je suis toujours frappé par l'extraordinaire esprit de clocher de tous ceux qui, en Europe, déplorent l'état du monde et sont nostalgiques de je ne sais quels hier qui chantaient. Pour la moitié de l'humanité, pour les Chinois, dont le PIB a été multiplié par plus de quatre sur les vingt dernières années, ou pour les Indiens (multiplication par trois), au contraire, c'est Noël !

A quel prix ! nous dira-t-on. La Chine, justement, engloutit nos emplois et détourne notre croissance. Faux. Sur les vingt ans du boom chinois, les pays développés ont tous vu leur économie grossir de 20 % (Suisse, Japon) à 70 % (Australie, Pologne, Norvège...) - le PIB français a grimpé de 30 %. Sur ces mêmes vingt ans, le nombre d'emplois marchands s'est accru (hors années de récession, comme 1993 ou 2009) de 1 à 2 millions par an aux Etats-Unis et de plusieurs centaines de milliers par an en France. Oui, le boom chinois détruit certains jobs délocalisés, mais il n'empêche nullement la croissance de l'emploi en Occident. L'irruption des nouveaux géants asiatiques n'a même pas oblitéré la domination des grands acteurs traditionnels : entre 1974 et 2005, les Etats-Unis ont maintenu leur part de la production mondiale exactement au même niveau (un peu plus d'un quart). La seule vérité économique éternelle, c'est qu'il y a de la place pour tout le monde.

Et la crise ? Elle est grave. Mais on en sort doucement - et nul n'imagine qu'elle puisse remettre en cause, dans la durée, la tendance à l'enrichissement collectif. Et la planète ? Elle souffre, c'est vrai. Mais l'humanité a pris conscience de ses responsabilités et le progrès technique est prometteur. Il est frappant que les Etats-Unis, constamment désignés à la vindicte publique pour leurs rejets de dioxyde de carbone, en soient, si on les rapporte à la richesse produite, trois fois moins producteurs que l'Inde, la Pologne ou l'Algérie, six fois moins que la Chine et dix fois moins que la Russie ou l'Iran. Autrement dit, plus un pays est évolué, et moins son économie cause de tort à la planète à niveau de production donné. Nous sommes donc lancés dans une course de vitesse entre le rythme et la " qualité écologique " de la croissance. Rien ne dit que l'ingéniosité humaine, qui est surabondante, ne nous permettra pas de gagner cette course !

Rien ne dit le contraire, j'en conviens. Mais pourquoi, sur ce sujet comme sur les autres, partir battus ? Comment se fait-il que nous nous soyons collectivement mis à macérer dans tous ces pronostics uniment noirs - " les Chinois vont nous bouffer ", " les islamistes vont tout faire péter ", " la crise durera vingt ans ", " la planète est foutue " ? La démographie n'y est pas pour rien : nous vivons désormais, nous Européens, dans des pays de vieux. Mais, au-delà, ces tremblements du monde qui nous tétanisent ont tous un point commun : nous n'avons pas prise sur eux. Héritier des Lumières et du mythe de Prométhée, vibrant encore au souvenir de sa " mission civilisatrice " et des innombrables conquêtes de sa volonté, l'homme blanc vit douloureusement de n'être plus ni le centre, ni le maître du monde. Notre pessimisme " raisonné " n'est que le cache-misère de cette amertume : nous pleurons sur l'espoir défunt, mais c'est du pouvoir que nous sommes en deuil.

PHOTO - REUTERS - People walk past a pawn store near a casino in Macau December 18, 2009, two days before the 10th anniversary of its handover to China. As Macau marks its first decade under Chinese rule on Sunday, the quiet Portuguese enclave turned gaming hub remains beset by a tangle of challenges that could yet tarnish its future economic prospects and impact on governance.

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