lundi 7 décembre 2009

La longue marche de la Chine vers le charbon propre - Arnaud de la Grange

Le Figaro, no. 20327 - Le Figaro, lundi, 7 décembre 2009, p. 19

Premier émetteur mondial de CO2, l'empire du Milieu dépend essentiellement du charbon pour son énergie.

Des vieilles voitures polluantes aux technologies « vertes » de pointe. Une fois de plus, la trajectoire de cette entreprise chinoise est fulgurante. Il y a exactement vingt ans, Wang Yusuo créait une petite entreprise de taxis et location de véhicules. Dans le musée flambant neuf de la compagnie, des photos d'archives montrent un parking parsemé de camionnettes brinquebalantes, louées aux jeunes entrepreneurs pionniers de l'ouverture chinoise. Deux décennies à peine plus tard, la société ENN est devenue l'un des fleurons de l'industrie « verte » chinoise, un voltigeur de pointe du charbon propre. Et, consécration ultime, elle a été la seule entreprise privée chinoise à recevoir l'été dernier la visite de Stephen Chu, le nouveau secrétaire à l'Énergie de Barack Obama, d'origine chinoise.

La Chine offre aujourd'hui ce double visage d'un pays sinistré écologiquement et dans le même temps en pointe dans bien des technologies écologiques. Et ENN est un symbole de ce nouveau volontarisme. Pour son QG, l'entreprise est restée fidèle à la ville de Langfang, à une heure environ de Pékin sur la route du grand port de Tianjin, même si ses 20 000 employés sont aujourd'hui répartis des steppes de Mongolie intérieure à la Silicon Valley américaine. Après les voitures, ENN s'est lancée dans les bonbonnes de gaz naturel. « Et c'est en 2004 que nous nous sommes engagés dans une transformation stratégique, explique Tracy Chen, porte-parole du groupe, en nous lançant dans les nouvelles énergies propres. »

À Langfang, le centre de recherches de l'entreprise a des airs de film de science-fiction, où des savants fous concoctent une nouvelle arme biochimique. Dans un grand bâtiment de verre, des hommes en blouse blanche s'activent devant des murs de tubes translucides où circule une étrange solution verdâtre. Des algues, qui doivent « digérer » le carbone capturé lors d'un processus de gazéification du charbon. Ces micro-algues ont été choisies parce qu'elles sont un des organismes qui se reproduit le plus vite sur Terre, et qui capture encore plus efficacement le carbone qu'arbres et plantes. L'originalité de l'installation test d'ENN est d'intégrer presque toutes les énergies nouvelles : le charbon est gazéifié sous terre, puis le dioxyde de carbone (CO2) est extrait avec l'aide d'énergie solaire et éolienne, avant d'aller nourrir des algues qui elles-mêmes vont être utilisées pour faire du biocarburant ou des engrais. Les experts étrangers défilent à Langfang et la société projette de bâtir une installation pilote sur 100 hectares dans les trois ans qui viennent.

Les besoins énergétiques augmentent

Si ENN déploie tant d'efforts dans le secteur, c'est que le charbon est encore à la Chine ce que le nucléaire est à la France. Il assure plus de 70 % de ses besoins énergétiques. En conséquence, il est aussi responsable du plus gros de ses émissions polluantes, une centrale charbon émettant au moins deux fois plus de CO2 qu'une centrale au gaz. Et il se construit encore une centrale thermique au charbon par semaine ! Il faut dire que les besoins énergétiques augmentent au rythme fou de la croissance : chaque année, Pékin met en service une centaine de gigawatts, soit l'équivalent de la totalité du parc électrique français.

La Chine est consciente qu'elle va rester encore dépendante du charbon durant au moins deux décennies. Parce qu'il reste si peu coûteux et que Pékin détient les troisièmes réserves mondiales, derrière les États-Unis et la Russie. D'où les recherches sur des centrales charbon plus propres, comme celle dont on vient de lancer la construction à Tianjin, sous la houlette de GreenGen dont l'actionnaire principal est le géant chinois de l'électricité Huaneng. Les Américains de General Electric viennent aussi de signer avec le grand groupe chinois Shenhua, pour travailler sur la gazéification du charbon et la capture du carbone. Les Français d'Alstom sont aussi dans la course et viennent d'inaugurer à Wuhan une nouvelle usine de fabrication de chaudières pour centrales thermiques, « qui permettent d'augmenter de 50 % le volume d'électricité produite avec une même quantité de charbon », selon Guy Chardon, vice-président de la division « produits thermiques » d'Alstom. Et donc de réduire d'autant le volume de CO2 rejeté par unité d'énergie produite. Dans un rapport publié au printemps dernier, l'Agence internationale de l'énergie reconnaissait que « la Chine est devenue le plus grand marché au monde pour les centrales au charbon modernes équipées de systèmes de contrôle des émissions de haute qualité ».

Bien sûr, comme souvent en Chine, il y a le discours, les règlements, et une réalité parfois bien différente, décalage auquel l'étirement géographique de l'empire n'est pas étranger. Les directives de Pékin se perdent souvent dans le voyage qui les mène jusqu'aux autorités locales et aux patrons des entreprises de province, fussent-elles sociétés d'État. Même s'ils sont installés, les systèmes de désulfuration sont ainsi souvent désactivés. « Des procédures de contrôle supplémentaires vont être mises en place, et on espère que la place du charbon va descendre à 50 % en 2030, et peut-être 35 % en 2050 », explique Jiang Kejun, chercheur à l'ERI (Energy Research Institute), un think-tank gouvernemental. « Plus généralement, nous avons proposé l'instauration d'une taxe carbone. Le sujet est maintenant sur le bureau des politiques. » Il reconnaît que les objectifs chinois en matière d'environnement vont demander des efforts de plus en plus importants, la partie la plus facile - la fermeture des unités les plus polluantes par exemple - ayant déjà été largement faite.

En attendant, alors que les experts chinois prennent l'avion pour Copenhague, les centrales charbon ont poussé leurs feux et les mineurs meurent par dizaines dans les mines officielles ou clandestines. L'hiver est précoce cette année et s'annonce particulièrement rude. Pour limiter les pénuries d'électricité porteuses de risques sociaux, tout le secteur a reçu l'ordre de mettre les pelletées doubles, le salut n'étant pas encore prêt à venir du soleil, du vent ou de l'atome.


La plus grande centrale solaire du monde sera chinoise

La plus grande centrale solaire du monde va bientôt déployer ses panneaux dans le nord de la Chine. Et c'est une entreprise américaine, First Solar, qui a été choisie. L'accord entre les Chinois et cette entreprise de l'Arizona a été largement mis en avant lors de la récente visite de Barack Obama à Pékin. Les vastes étendues herbeuses de Mongolie intérieure accueilleront la ferme solaire qui occupera une superficie voisine de celle de Manhattan et dont la puissance attendue est de 2 gigawatts (GW), soit 1,5 fois un gros réacteur nucléaire.

La Chine s'est fixé l'objectif de produire 15 % de son énergie avec des sources renouvelables en 2020 et un tiers en 2050. Et d'être dans les dix ans le premier producteur mondial de toutes ces technologies vertes. Déjà leader mondial du chauffe-eau solaire, elle ambitionne de gravir la première marche des cellules photovoltaïques. Côté éolien, le parc est aujourd'hui de 12 GW, l'objectif étant de passer à 100, voire 150 GW en 2020. La Chine, au 4e rang mondial, derrière les États-Unis, l'Allemagne et l'Espagne, devrait se hisser au 1er rang dès 2011. Les autorités préfèrent donner des chiffres de capacité plus que de production. Les provinces affichent ainsi leurs efforts « verts » mais nombre d'installations ne sont pas raccordées au réseau. Les énergies renouvelables coûtent encore cher et sont « discontinues ». D'une tout autre nature, la part du nucléaire devrait aussi monter fortement. Aujourd'hui de 2 %, elle devrait passer à 4 ou 5 % en 2020, avec un objectif de 20 % en 2050.

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