C'était en février 1981. François Mitterrand, candidat à l'élection présidentielle, se rend en Corée du Nord à l'invitation du dictateur Kim Il-sung. Il est accompagné notamment par Lionel Jospin et Gaston Defferre. Arrivé dans la capitale Pyongyang en provenance de Pékin, le petit groupe découvre pendant deux jours, ainsi que l'a raconté Claude Estier, " l'incroyable culte de la personnalité du "Grand Leader", Kim Il-sung ".
Ils sont reçus par l'intéressé lui-même, qui remet à chacun une caisse contenant ses oeuvres complètes. Kim Il-sung est un homme doté de " beaucoup de bon sens et de réalisme ", dira M. Mitterrand. Au soir de l'élection du 10 mai, l'un des premiers télégrammes de félicitations qui lui seront adressés proviendra de Pyongyang.
La Corée du Nord est un Etat totalitaire, avec des camps de travail où l'on meurt de faim (environ 200 000 prisonniers y croupissent), un lavage généralisé des cerveaux, et une notion d'" ennemi du peuple " qui s'applique à des familles entières, sur trois générations. Dans les années 1990, de 1 à 2 millions d'habitants ont péri dans une famine en partie provoquée par le régime, qui canalisait la nourriture vers les segments jugés loyaux de la population (surtout la caste militaire). Aujourd'hui encore, de graves problèmes de malnutrition se posent, alors que le régime consacre des ressources colossales à son programme nucléaire et balistique. Sur la scène internationale, le pays est passé maître dans l'art de monnayer sa capacité de nuisance. Elle est aujourd'hui, avec la Birmanie, l'une des dernières grandes dictatures fermées de la planète.
" C'était une autre époque ", commente Jack Lang, ce mercredi 16 décembre, interrogé sur ce voyage de François Mitterrand. " Le Parti socialiste entretenait alors des relations de dialogue avec les partis communistes de différents pays. " Jack Lang vient de présenter à la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale les résultats de la " mission d'information " en Corée du Nord que lui a confiée Nicolas Sarkozy en octobre.
En novembre, il a passé cinq jours en Corée du Nord. Cinq jours, parce que c'est le laps de temps séparant deux liaisons aériennes entre Pékin à Pyongyang, assurées par une compagnie chinoise. Jack Lang était accompagné de plusieurs diplomates français, dont le conseiller pour l'Asie de M. Sarkozy, Bertrand Lortholary. Jack Lang n'a pas été reçu par le numéro un du régime, le " général " Kim Jong-il, fils de Kim Il-sung (il était " absent de la capitale ", selon l'explication officielle) - mais par le numéro deux.
Lors de ce séjour, il y a eu les exercices, quasi obligés, auxquels M. Lang s'est prêté pour " respecter les usages " : la contemplation de la statue géante du " Grand Leader " et la visite au mausolée abritant le corps embaumé de Kim Il-sung, mort en 1994. Là, les visiteurs s'inclinent vers la momie à quatre reprises.
Les soirées sont longues à Pyongyang, mais des restaurants privés, signe de l'éclosion d'une classe moyenne, égaient un peu les choses, et certaines conversations avec des officiels sont arrosées. La délégation française a un jour la surprise de s'asseoir aux premiers rangs d'une salle de concert pleine à craquer, mais où le public, évidemment trié sur le volet, se tient parfaitement figé et silencieux. Interdit, là comme ailleurs, d'engager une conversation avec quiconque de " non autorisé ".
Sur la situation interne en Corée du Nord, Jack Lang préfère ne pas trop se prononcer. En dehors de la capitale, qui sert de vitrine, il a vu dans les campagnes " des personnes qui paraissaient connaître des difficultés de vie ". Il est toutefois rentré avec l'impression que " les lignes bougent " en Corée du Nord. Il en veut pour preuve le voyage de Bill Cl inton cette année, et l'envoi récent d'un émissaire par Barack Obama. Ainsi que les deux " gestes solennels " que lui ont fait les Nord-Coréens : l'offre d'" un échange sur les droits de l'homme " avec la France et la promesse que les exportations de technologies nucléaires et balistiques ont cessé. " A prendre au sérieux ", dit M. Lang.
La France doit selon lui trouver le moyen d'accompagner les espoirs d'ouverture. Même s'" il n'est pas imaginable " que Paris établisse des relations diplomatiques " dans la période immédiate ". Il s'agit de procéder " par étapes ". Entre-temps, la France propose d'ouvrir à Pyongyang une " structure permanente de coopération humanitaire, culturelle, linguistique ".
La France n'a jamais eu de relations diplomatiques avec la Corée du Nord depuis la guerre de Corée (1950-1953), où elle avait envoyé un bataillon combattre aux côtés des troupes américaines, sous mandat de l'ONU. Malgré son séjour à Pyongyang, François Mitterrand avait refusé, une fois élu président, de franchir ce pas - même si, se souvient Hubert Védrine, " les Nord-Coréens le harcelaient ".
Jacques Chirac aussi refusa, contrairement au Royaume-Uni et à l'Allemagne, en 2000, à la faveur d'une phase de réchauffement entre les deux Corées. " Ces relations, pour les reprendre, il faut qu'il y ait un minimum de gestes ", avait expliqué Jacques Chirac, citant comme conditions des progrès sur " la non-prolifération et les droits de l'homme ".
La diplomatie française aurait-elle pris un tournant sur ce plan ? Nicolas Sarkozy chercherait, selon certains, à prendre de vitesse la diplomatie de Barack Obama lorsqu'elle tente un dialogue avec des régimes " voyous ". Il aurait " recruté " pour cela Jack Lang, qui caressait cette année d'autres rêves, notamment la direction de l'Unesco. Au printemps, il effectuait déjà une mission à Cuba. Mercredi, Jack Lang se disait très content d'avoir précédé à Pyongyang l'émissaire américain. L'initiative française semble avoir irrité des officiels japonais, qu'il a fallu rassurer. La Chine, elle, y aurait trouvé son compte. L'Elysée chercherait-il ainsi à se gagner les bonnes grâces de Pékin ?
PHOTO - Getty Images - French special envoy to North Korea Jack Lang speaks to the media after returning from a five-day trip to North Korea at Beijing's Capital airport on November 13, 2009. Lang on November 12 met North Korea's number two leader Kim Yong-Nam during his five-day trip to the communist country, state media said.© 2009 SA Le Monde. Tous droits réservés.
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