Le président Obama n'a pas remporté un franc succès lors de sa dernière visite en Chine, quand il a plaidé pour la flexibilité de la monnaie chinoise, le yuan. De fait, même si le mot est poli, flexibilité veut dire montée, alors que la Chine continue de financer les Etats-Unis et détient de l'ordre de 1.000 milliards de dollars en bonds du Trésor américain (sans compter des titres voisins). Demander ainsi à la Chine un soutien financier permanent, assorti de la dépréciation croissante de ce qu'on la prie d'acheter, plus de ce qu'elle a déjà en stock, est donc assez compliqué. Puis est venu le président Trichet, avec le même message de montée du yuan.
Bien sûr, nul ne peut imaginer de réactions obéissantes à ces messages répétés. La Chine avait commencé à gérer l'appréciation de sa monnaie sous pression américaine (administration Bush) puis a brutalement arrêté en août dernier, en liaison avec la crise, disent les uns, les jeux Olympiques les autres, les élections américaines les troisièmes. Depuis, et après une appréciation de 20 % depuis janvier 2005, elle stabilise strictement son taux de change effectif réel. Autrement dit, le yuan a monté par rapport au dollar et baissé par rapport à l'euro !
Bien sûr, la Chine sait que cette situation ne peut durer : son excédent commercial, certes plus faible qu'avant la crise, est quand même de 10 milliards par mois, avant de remonter avec la reprise qui s'annonce, et elle est bien obligée d'acheter des bonds américains. Pour freiner la pression à l'appréciation de sa monnaie, elle est même forcée de recommander une modération à l'entrée des investissements étrangers sur son sol, investissement attirés par une forte demande interne_ et par l'appréciation anticipée du yuan. Pour les six premiers mois de l'année, ce sont ainsi 130 milliards de dollars qui lui viennent des échanges, 30 des capitaux et 20 des « erreurs et omissions ». Pour esquisser des portes de sortie, elle vient de commencer à émettre de la dette en yuan en passant par Hong Kong, et s'interroge en public sur le dollar (et ses limites) et les droits de tirage spéciaux du FMI (et ses attraits), histoire de réfléchir sans doute, de semer le trouble bien sûr, de gagner du temps donc. En attendant, elle continue à investir partout : terres et mines en Afrique, fonds aux Etats-Unis et en Europe, en attendant surtout des entreprises de RD, pour passer du statut d'atelier-monde à celui de labo-monde. Sous la finance, le réel.
La première vérité est que le monde monétaire va changer après cette crise : s'il est multipolaire dans ses croissances, ses politiques, ses puissances, il ne peut rester lié au seul dollar avec l'euro comme monnaie de substitution, pour ne pas dire de diversion. La deuxième vérité est que ce processus sera complexe et lent. Deux chantiers vont naître : celui des « monnaies zones », pour l'Asie et aussi pour le Moyen-Orient (la crise de Dubaï rappelle la solidarité de fait des places et des régions) et celui de la « monnaie monde », avec des questions autour d'un DTS revu et d'une régulation mondiale plus forte. Ceci sera l'objet de questions et de tensions, mais il ne faut pas surtout passer à côté des trois avantages que ceci comporte.
D'abord, la Chine sait que la réévaluation forcée de sa monnaie, d'au moins 4 à 5 % l'an sur les cinq ans qui viennent, la force à rééquilibrer sa croissance vers la demande interne. En même temps, l'internationalisation du yuan, régionale au début, est un puissant facteur d'intégration, avec la Corée, Taiwan et le Japon au moins. Les Etats-Unis savent ensuite qu'il leur faudra consolider leur taux d'épargne et admettre une phase de croissance modérée et rééquilibrante. Enfin, l'Europe doit mettre à profit cette période où la pression haussière sur l'euro va s'atténuer pour consolider ses comptes publics et renforcer surtout sa croissance potentielle (programme de Lisbonne), ceci permettant cela. Le risque de l'opération est une hausse des taux longs, si les conditions de ce rééquilibrage ne sont pas claires et balisées. Il faut donc des préparations et des explications claires et convergentes : c'est l'intérêt de tous.
L'Europe ne sort pas gagnante d'une crise qu'elle n'a pas provoquée ; il ne faut surtout pas qu'elle perde à une amélioration qu'elle soutient.
JEAN-PAUL BETBÈZE EST CHEF ÉCONOMISTE DE CRÉDIT AGRICOLE SA.
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1 commentaires:
Pas mal ce jeu de mot... ;)
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