mardi 29 décembre 2009

Le Premier ministre japonais rêve de constituer une communauté d'Asie de l'Est

Les Echos, no. 20582 - International, mardi, 29 décembre 2009, p. 6

Yukio Hatoyama pousse l'idée d'une communauté d'Asie de l'Est calquée sur le modèle européen. Pour être réalisable, il faut déjà que le Japon se réforme lui-même et ouvre ses frontières.

C'est une des idées de la campagne électorale que Yukio Hatoyama ne manque pas de développer dès que l'occasion lui en est donnée. Que ce soit avec ses homologues chinois, au sommet de l'Asem ou au 4e East Asia Summit, le Premier ministre du Japon a tracé ces dernières semaines, sans relâche, les contours de ce que serait une communauté d'Asie de l'Est. Sur le papier, le chef du gouvernement souhaite reproduire en Asie le modèle du marché unique européen et répète à l'envi vouloir s'inspirer de l'expérience du Vieux Continent. A cette différence près que l'Union européenne s'est construite sur une base politique, alors que le Japon pousse ce projet avec une réelle arrière-pensée économique. En repositionnant le Japon comme une puissance régionale, le chef du gouvernement veut faire de cette Asie en développement une sorte de base arrière nourrie aux technologies mises au point dans l'Archipel. « Nous devons préserver une Asie verte », a-t-il lancé lors du sommet de l'Asem à Singapour en novembre, comme pour mieux rappeler que le Japon est en pointe dans les énergies renouvelables ou encore dans la voiture électrique.

Une « zone de fraternité »

Les enjeux sont à la mesure de la taille du marché. Yukio Hatoyama défend l'idée d'une zone à 16 pays, comprenant outre le Japon et les dix pays de l'Asean (1), la Chine, la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et l'Inde. « Ensemble, ces pays ont compté pour 23 % dans la formation du PIB mondial en 2008, et ce chiffre est appelé à grandir », a expliqué le Premier ministre en détaillant son plan au sommet de l'Asem. A eux seuls, le Japon, la Chine et la Corée du Sud ont compté en 2008 pour 16 % du PIB mondial. Les dix pays de l'Asean ont un poids plus modeste à l'échelle de la planète, mais avec un potentiel de croissance bien réel. Seulement, le Japon y perd peu à peu du terrain. En 1993, l'Archipel représentait 20,2 % des échanges de l'Asean, la Chine 2,1 %. Quinze ans plus tard, la part du Japon est tombée à 12,4 %, celle de la Chine est montée à 11,3 %. Reste qu'une telle ambition ainsi affichée ne peut suffire pour reprendre la main dans la zone.

La Chine est certainement l'un des principaux écueils au projet japonais. Déjà parce qu'elle défend, elle aussi, une idée similaire en excluant toutefois l'Australie, la Nouvelle-Zélande et l'Inde. Ensuite, parce que Pékin veut mettre en avant sa puissance économique pour exercer, elle aussi, son leadership régional et verrouiller ainsi sa sphère d'influence. Yukio Hatoyama a beau vouloir créer une « zone de fraternité », il n'ignore pas les vents contraires qui vont inévitablement souffler.

Le Japon souffre d'une mauvaise image qu'il doit redorer en Corée et en Chine. Le poids du passé, les contentieux territoriaux non réglés s'ajoutent aux mauvais souvenirs laissés dans les populations. Soucieux du retard à rattraper, le Parti démocrate japonais, dont Hatoyama est président, vient de déclencher une opération séduction en envoyant 140 députés et 450 hommes d'affaires dans ces deux pays pour tenter de trouver une nouvelle base de dialogue. Mais le Japon part de très loin. L'autre point négatif vient des Etats-Unis qui, a priori, ne seraient pas inclus dans ce projet, dont l'énoncé a créé un réel émoi à Washington. Du coup, les Etats-Unis tournent en dérision cette future communauté d'Asie de l'Est.

Engager des réformes

S'il veut convaincre, le Japon doit d'abord et surtout engager des réformes profondes chez lui. Il prend, sinon, le risque d'avoir du mal à défendre la mise en place d'un marché unique alors que le sien demeure hautement protégé, notamment pour les produits agricoles. Il risque tout autant d'être fortement critiqué en prônant une ouverture des frontières aux flux migratoires alors que les siennes restent hermétiquement fermées. Or, à défaut de réponses claires, la communauté d'Asie de l'Est de Yukio Hatoyama risque de rester longtemps à l'état de projet.

MICHEL DE GRANDI

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2 commentaires:

Sinomec a dit…

Nous ésperons que les asiatiques ont le même sagesse que les européens qui ont choisit d'être réuni au bout de des siécles de guerre.Un jour, l'être humain entire vont se mélanger et se réunifier.

Pengyou a dit…

Vous avez tout à fait raison d'espérer qu'une communauté asiatique voit le jour. Peut-être sera-t-elle même le garant d'une paix régionale. Néanmoins, la majorité des spécialistes en relations internationales vous répondraient que la stratégie japonaise est d'essayer de survivre dans une région dominée par la Chine. Il ne reste plus qu'à cette dernière de décider du rôle que pourra jouer le Japon.
Selon Valérie Niquet, le plus grand défi que la RPC rencontrera en politique étrangère sera sa capacité à surmonter une vision exclusivement sino-centrée des "intérêts fondamentaux" de la Chine.