Dans le fiasco - tout relatif, au demeurant - de la Conférence mondiale de Copenhague, beaucoup de doigts se sont pointés en direction de la Chine. Je voudrais ici, très simplement, me faire l'avocat de la position chinoise et expliquer pourquoi la situation peut s'arranger spectaculairement si l'on prend les choses par le bon bout. Tout d'abord, qui connaît tant soit peu la Chine, sait combien elle est réticente à signer des traités contraignants. Ce n'est pas que la Chine ne respecte pas sa parole - les États-Unis ont pu s'en apercevoir à la fin de la guerre froide, où Pékin se conduisit constamment en allié fiable - mais elle est réticente à s'engager dans une voie, celle des traités internationaux qui, tout au long des deux derniers siècles lui fut infligée à son seul détriment. Les Chinois préfèrent donc des accords de gré à gré à des textes préparés ailleurs et qui, dans le passé, leur enjoignaient tel jour d'autoriser les ventes d'opium sur leur territoire, tel autre de renoncer à la propriété de leurs chemins de fer. Il suffirait pourtant, loin des tumultes des forums, qu'Américains et Européens fassent aux Chinois des propositions raisonnables et on recueillera très probablement une réponse positive du côté chinois.
Examinons à présent la question de fond. La Chine, depuis sa véritable révolution engagée fin 1978 par Deng Xiaoping, a rendu un service immense à l'humanité en faisant passer sa population des deux tiers au-dessous du seuil de pauvreté vers 1980 à seulement un tiers aujourd'hui. Cet exploit est dû à une combinaison de facteurs inédite où entrent en jeu les effets immédiats d'une économie de marché pragmatique, la stabilité politique qu'a procurée un Parti communiste qui n'a cessé de se libéraliser et de désidéologiser au fil des ans, et enfin les capacités entrepreneuriales remarquables d'une diaspora qui s'est ainsi réintégrée à part entière dans le « projet chinois ». Certes, les citoyens de la République populaire ont été les premiers bénéficiaires de l»hypercroissance de leur pays. Mais les bénéfices induits de cet essor, sans équivalent ailleurs, ont été très importants pour les pays les plus proches (Japon, Corée du Sud et Asie du Sud-Est) avant d'atteindre ces dernières années l'ensemble de l'économie mondiale : des ateliers d'architectes français aux usines Airbus d'EADS, en passant par l'industrie de la machine-outil allemande, des technologies de l'information américaines et des producteurs de soja, de pétrole, et en général de matières premières. Tout le monde a ainsi bénéficié d'une croissance chinoise qui, telle une marée océanique, a fini par faire monter tous les bateaux. Plus concrètement encore, en cette année 2009 qui s'achève, les 8,5 % de croissance chinoise ont fait repartir à la hausse les marchés pétroliers, redonné du tonus à la production de cuivre chilienne et zambienne, stimulé les ventes de produits à haute valeur ajoutée des grands pays industriels et même ralenti la chute libre de l'économie japonaise du premier semestre. Toutes les propositions qui viseraient à entamer « la décroissance » de l'économie chinoise seraient bien vite catastrophiques : outre les effets dépressifs sur le commerce mondial et la stabilité de pays clefs de par le monde, elle provoquerait en Chine même une immense amertume de nature à renflouer un nationalisme vétilleux, et interromprait bien vite tout dialogue substantiel avec Pékin. Pour autant, il serait absurde de penser que la Chine ne fasse rien pour améliorer son environnement, ni ne veuille écouter les conseils de bon sens qu'on lui adresse. Mais il est tout à fait exagéré de vouloir faire payer à la Chine seule la note considérable de son progrès technologique, en particulier en matière énergétique, laquelle représente la seule clef pensable de ses progrès écologiques.
Plus généralement, le cas chinois, dans son apparente complexité qui n'a rien d'insoluble, nous montre que seule une croissance soutenue de toutes nos économies ensemble peut permettre de prendre le tournant des technologies propres, parfois révolutionnaires. Ce n'est pas une Chine appauvrie qui peut arrêter ou transformer sa production charbonnière, ce n'est pas une Chine impécunieuse qui peut acquérir sur le marché mondial les nouvelles technologies propres dont elle a besoin, même s'il faut aussi les aider un peu à faire leurs emplettes à des prix raisonnables, parfois dans la gratuité subventionnée. Dans cette recherche de la croissance, ce ne sont pas aux États qui nous rendent l'inestimé service de se sortir par eux-mêmes de la pauvreté, qu'il faut faire porter un fardeau insoutenable. Pour le reste, on le voit déjà avec les exemples des panneaux solaires et du reboisement, la Chine est capable non seulement d'imiter, mais d'innover et de dépasser. Un peu de confiance, donc.
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