lundi 28 décembre 2009

La Chine endosse son nouveau rôle de grande puissance - Frédéric Koller

Le Temps - Temps fort, lundi, 28 décembre 2009

Pékin n'hésite plus à prendre le leadership.

«Daguo». Grande puissance en chinois. La Chine s'affiche désormais comme telle et s'affirme prête à en assumer les responsabilités qui en découlent sur la scène internationale. Elle lance des initiatives, prend le leadership, bouscule les équilibres hérités du XXe siècle. Au G20? C'est elle qui rallume le débat sur la légitimité du dollar comme monnaie de référence. Les plans de relance? On compte sur Pékin pour jouer le rôle de locomotive mondiale. Au Sommet de Copenhague, les Chinois prennent la tête des pays en voie de développement pour défendre la «justice climatique» au nom de laquelle l'essentiel du fardeau financier doit reposer sur les épaules des pays occidentaux. Au FMI, à la Banque mondiale, Pékin impose un renforcement des voix des pays du Sud.

Cette visibilité est nouvelle. Il y a peu, la doctrine en matière de politique extérieure se résumait ainsi: «demeurer dans l'ombre, rester en retrait». Deng Xiaoping avait dicté cette ligne au lendemain du massacre de Tiananmen (1989) pour permettre à la Chine de réintégrer la communauté internationale après les sanctions. Ce discours devait atténuer les craintes face aux théories de la «menace chinoise». Hu Jintao a ensuite introduit le concept d'«émergence pacifique» pour rassurer ses voisins sur ses intentions. Dans le même temps les idéologues du Parti communiste se sont intéressés à l'histoire des grands empires, leur formation et leur déclin, les bouleversements qu'ils entraînent. Aujourd'hui, la Chine se compare à la Grande-Bretagne du XIXe siècle et aux Etats-Unis du XXe siècle, étant entendu que le XXIe sera celui de sa renaissance.

Avant, face au camp adverse, la Chine se contentait de dire non pour affirmer son existence. Aujourd'hui, elle sait acquiescer, formuler des compromis, proposer. Pékin n'hésite plus à afficher ses ambitions, ses diplomates sont partout présents, la maîtrise du discours (le «soft power») est indéniable. Deux événements ont précipité le processus: les Jeux olympiques de Pékin, conçus comme la grande fête attestant du renouveau de la puissance chinoise, et, depuis un an, la crise économique et financière qui a permis une redistribution des rôles. Mais c'est avant tout le résultat d'une politique de longue haleine, celle des réformes entamées en 1979.

La puissance implique des responsabilités. Barack Obama a salué l'émergence d'une Chine forte et prospère qui puisse jouer un plus grand rôle. Que va faire la Chine à l'égard de l'Iran et de la Corée du Nord pour contrer leurs aspirations à l'arme atomique? Cela reste à voir. Que compte-t-elle faire de sa nouvelle force militaire (qui reste très relative en regard de celle des Etats-Unis)? Mystère. Pékin conserve des liens privilégiés avec nombre d'Etats qualifiés de «parias». Mais ses troupes sont présentes dans pas moins de vingt opérations de maintien de la paix de l'ONU.

Cette montée en puissance, d'abord commerciale, s'est traduite par l'exportation de produits «made in China» bon marché dont bénéficie l'ensemble de la planète, mais aussi par une nouvelle course aux matières premières et aux ressources énergétiques. Une course qui sera source de conflits avec ses voisins.

Cette Chine «nouvelle» est une chance pour un monde multipolaire. C'est aussi le principal défi aux démocraties libérales. Car Pékin ne s'en cache pas: sa puissance est associée à un modèle alternatif à celui de l'Occident. Ce modèle est celui du capitalisme autoritaire, d'une économie de marché contrôlée par une dictature de parti unique où les libertés individuelles se résument à celle de consommer.

Pays le plus peuplé de la planète, la Chine retrouve en définitive un rang qui correspond à son poids démographique. A l'heure où certains parlent d'un G2, d'une entente entre les Etats-Unis et la Chine sans laquelle aucun problème de ce monde ne pourrait être réglé, il ne faudrait pourtant pas surestimer sa force, au risque d'une grave erreur d'appréciation. Car la Chine, en définitive, demeure bel et bien un pays en voie de développement dont la croissance est fragile. Une grande puissance, certes. Mais une grande puissance toujours pauvre en regard du niveau de vie global de sa population.

© 2009 Le Temps SA. Tous droits réservés.

Bookmark and Share

0 commentaires: