dimanche 6 décembre 2009

SPECTACLE - « Le Dragon bleu » de Robert Lepage - Jean-Claude Raspiengeas

La Croix, no. 38529 - Culture, vendredi, 4 décembre 2009

Suite à la « Trilogie des dragons », spectacle mythique en perpétuelle évolution, « Le Dragon bleu », de Robert Lepage, créateur visionnaire, se pose sur la scène du Théâtre de Chaillot.

Votre spectacle, Le Dragon bleu, arrive à Paris, mais sans vous. Pourquoi ?

Robert Lepage : Je l'ai joué pendant un an et demi, j'avais l'impression d'être allé au bout. J'avais besoin de le « libérer ». Comme je mène plusieurs projets en parallèle, je pénalise forcément les spectacles, en les empêchant de tourner.

Le Dragon bleu prolonge La Trilogie des dragons. En quoi votre regard et votre réflexion sur la Chine ont-ils évolué ?

Quand La Trilogie a été créée, en 1985, j'avais 27 ans. Je jouais Pierre Lamontagne, qui n'avait jamais mis les pieds en Chine, avec mes préoccupations d'alors. On retrouve ce personnage aujourd'hui. Il a 50 ans, tient une galerie d'art à Shanghaï et vit avec une Chinoise, dans un pays en plein bouleversement. Je voulais comprendre ce qu'il avait vécu.

Votre imaginaire est très marqué par l'Asie, notamment le Japon et la Chine, pourquoi ?

Souvent, les auteurs s'évadent dans la légende, le pays imaginaire, le monde des fantasmes. Quand j'étais jeune, je rêvais devant ces idéogrammes, tellement éloignés de ma culture nord-américaine. Le chinois m'apparaissait comme le monde virtuel d'Alice au pays des merveilles. Avec le temps, je me suis intéressé à la calligraphie, aux arts martiaux, à la « chinoiserie » accessible. Puis à l'histoire et à l'influence de la culture chinoise sur le Japon où je suis allé très souvent. La Chine est cachée dans la culture japonaise. Le Japon est l'empire des sens, la Chine celui de la survie. Enfant, je voulais être professeur de géographie. Dans mes spectacles, les personnages voyagent ou sont confrontés à des chocs culturels.

Vous avez pris l'habitude d'intégrer le public dans votre travail de création. Comment procédez-vous ?

Notre centre de création est situé dans une ancienne caserne de pompiers à Québec. Depuis le début, nous avons instauré un système où, après trois semaines de répétition, nous invitons deux cents personnes, de toutes conditions, qui savent qu'elles assistent à un travail en gestation. Pour prix de leur présence, elles doivent nous écrire pour nous dire ce qu'elles ont pensé, nous donner des suggestions. L'oeil extérieur réagit. Pour certaines créations, nous organisons jusqu'à quatre répétitions publiques.

Nous pratiquons aussi le soft touring, une tournée dans des petites villes. Nous jouons et dialoguons ensuite avec le public. Après, nous explorons ses idées pour ne pas figer le spectacle dans une forme aboutie. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai arrêté de tourner des films. À cause de la guillotine qui tombe à un moment donné et fige définitivement la création. Les Américains appellent ça « picture lock » (verrouiller les images). On a envie de « rouvrir » son film mais c'est impossible. Je pense que, tôt ou tard, le cinéma va évoluer vers cette solution : il va coûter moins cher, devenir plus démocratique. Au fil du temps, les cinéastes pourront retoucher, reprendre leur film.

Vous menez plusieurs projets en même temps à travers le monde. Pourquoi ?

Par boulimie, sans doute. Mais aussi au nom d'une idée : chaque projet informe modifie l'autre. En ce moment, je mène de front une performance de danse (Eonnagata avec Sylvie Guillem et Russell Maliphant) (1), la mise en scène de la Tétralogie de Wagner, une création théâtrale, un projet pour Le Cirque du Soleil, et d'autres encore en cours de gestation. Quand un problème surgit, j'attends que la solution se dégage d'elle-même. Je pars ailleurs poursuivre mes recherches et tout se décante. Les projets marinent, mijotent, cuisent, dans des fours différents.

Pouvez-vous maintenir cette souplesse quand vous travaillez pour l'opéra ?

Un budget d'opéra représente toujours le même nombre de semaines de travail. C'est la façon de gérer ce temps qui fait la différence. Nous répartissons les deux mois de répétition et de création sur trois ans. J'arrive maintenant à choisir ce que je veux monter et j'impose que notre structure, Ex Machina, devienne le producteur délégué. On improvise, on teste, on explore dans La Caserne, à Québec. On abandonne, on reprend, on tâtonne. On entend souvent cette plainte : « Ah, si on avait eu le temps... » Mais on ne l'a jamais, le temps !

Votre théâtre se singularise aussi par un rapport poétique aux objets. Comment travaillez-vous ?

Pour démarrer La Trilogie des dragons, je disposais d'un budget de... 50 dollars. Quelqu'un a amené des boîtes de souliers et nous avons réinventé le monde avec cet accessoire. Je veux retourner lentement vers ce dépouillement. Parfois, je suis tenté de tout virer sur le plateau et de revenir à l'espace vide des débuts.

La suite de « La Trilogie des dragons »

Créé le 22 avril 2008 sur la scène nationale de Châlons-en-Champagne, Le Dragon bleu de Robert Lepage se pose au Théâtre de Chaillot, mais sans Robert Lepage, accaparé par ses multiples projets de création, remplacé par Henri Chassé. Il rejoint sur scène Marie Michaux qui a co-écrit le spectacle et Tai Wei Foo. Ce quatrième épisode des aventures de Pierre Lamontagne prolonge La Trilogie des dragons, spectacle qui tourne autour du monde depuis 1985. Esthète en exil permanent, Pierre Lamontagne a quitté le Québec et tient une galerie à Shanghaï, ville tentaculaire où explose le marché de l'art. Pour traduire le choc des regards, la collision des sensibilités, les remous sentimentaux, Robert Lepage multiplie les tableaux réalistes, en transformant le décor pour l'accorder à sa féerie visuelle.

© 2009 la Croix. Tous droits réservés.

Bookmark and Share

0 commentaires: