« Restaurant cherche manifestant anti-expulsion à demeure, 146 dollars par mois, pas de jour de congé. Ceci n'est pas une plaisanterie ». Les gérants d'un restaurant de Pékin, menacé de démolition, comme c'est aujourd'hui fréquent dans une Chine en plein boom de la construction, ont en effet embauché via Internet un « squatter professionnel », chargé de monter la garde nuit et jour afin d'empêcher leur établissement de se transformer en tas de gravats pour faire place à un immeuble de rapport.
Qualifications requises : supporter les conditions de vie difficiles, ne pas avoir froid aux yeux pour résister aux tentatives d'expulsion, être capable d'appeler la police si la situation dégénère. Expérience en matière de démolition bienvenue.
Ce qui est le cas de Lu Daren, 46 ans. Dans le restaurant vide et glacial, emmitouflé dans des couvertures sur un matelas de fortune à même le sol couvert de canettes vides, détritus et mégots, il soupire : « Je suis épuisé. Fatigué, fatigué... » Lu a passé la nuit à repousser les assauts de ceux qu'il pense être des hommes de main embauchés par le propriétaire. Car ayant autrefois lui-même travaillé au sein d'une équipe de démolition, Lu connaît bien les méthodes...
Les évictions forcées sont un fléau en Chine depuis longtemps. Mais les actes de résistance violente se sont multipliés cette année, de la part de citoyens en colère refusant d'être expulsés pour que des entrepreneurs puissent bénéficier des nouveaux prêts à la construction avantageux.
Rien qu'à Pékin, estiment les ONG, un million de personnes auraient ainsi été expulsées et des quartiers entiers rasés pour construire les sites abritant les Jeux olympiques de l'été 2008.
L'ampleur du phénomène a même poussé cinq professeurs de droit de l'université la plus prestigieuse du pays à monter au créneau pour une rarissime prise de position publique : ils
ont exhorté le gouvernement à modifier un système qui selon eux encourage abus, corruption et clientélisme. Pékin a annoncé qu'il se pencherait « rapidement » sur la question, et semble effectivement vouloir tenir parole : pour preuve, la presse officielle a été autorisée à écrire sur Lu et son étrange job.
© 2009 © Rossel & Cie S.A. - LE SOIR Bruxelles, 2009
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