lundi 21 décembre 2009

Yiwu, le plus grand supermarché chinois du monde - Dorian Malovic

La Croix, no. 38543 - Economie et entreprises, lundi, 21 décembre 2009, p. 14

Cent mille boutiques accueillent un flux continu de commerçants venus du Proche et du Moyen-Orient, d'Afrique, d'Amérique latine et d'Inde, qui y trouvent à peu près tout ce qu'on peut acheter.

Calculette dans une main, téléphone portable dans l'autre, regard inquiet vers l'interprète chinoise, l'homme d'affaire colombien négocie depuis le début d'un après-midi de novembre l'achat de 2 000 sapins de Noël lumineux, 50 000 boules multicolores et 100 000 guirlandes. La température monte dans le stand où la vendeuse chinoise défend sa marge, mais les affaires se déroulent dans un climat de confiance. « Pour cette commande, explique Alvaro, venu de Bogota pour une semaine à Yiwu avec un budget de 70 000 €, j'ai réussi à obtenir une ristourne de 40 %, le partenaire chinois se charge de la douane et de l'expédition en bateau. Le conteneur sera en Colombie d'ici à trois semaines. Ici, les affaires se font très vite et j'ai confiance. » Le coeur du célèbre marché de gros de Futian, dans la ville de Yiwu, au centre de la riche province du Zhejiang, au sud de Shanghaï, bat au rythme de la signature de milliers de contrats quotidiens pour tous les petits produits manufacturés imaginables. À Yiwu, on trouve tout.

« Si vous vouliez passer ne serait-ce que cinq minutes dans chaque stand du centre d'exposition de Futian, explique Chen Haiyan, 19 ans, commerciale interprète pour la société Vibest International, il vous faudrait au moins un an pour le faire... » Le ton est donné pour évoquer Futian. Cette « ville » de quatre millions de mètres carrés à l'intérieur même de Yiwu, où deux millions de produits différents sont exposés dans plus de 100 000 stands à des prix imbattables, magnétise marchands et commerçants du monde entier. « La compétition est rude ici ! », assure dans un bon anglais Annie Wu, 24 ans, jeune patronne de Vibest, qu'elle a fondée il y a un an après avoir travaillé dix-huit heures par jour dans une autre société d'import-export de Yiwu, « pour se faire la main ». « J'ai fait de la pub sur Internet et j'ai des clients d'un peu partout, quelques Allemands dans le meuble et les tissus, des Polonais pour des sacs à main, mais ce sont les Indiens qui m'achètent le plus. Ils sont plus de 2 000 résidant à Yiwu. Ce sont les plus durs en affaires, d'emblée ils demandent 50 % de réduction et ne bougeront plus... mais ils remplissent plusieurs conteneurs par semaine, des bouteilles thermos aux cintres en passant par les bijoux fantaisie ou les verres en plastique. » Annie Wu, née dans la province natale de Mao, le Hunan, juge que ce sont « les pays pauvres qui viennent acheter à Yiwu », pas les États-Unis, l'Europe, le Canada, le Japon ou l'Australie.

Rencontré dans un taxi à Yiwu, où la prise en charge est encore à moins de 5 yuans (0,50 €), contre 15 ou 16 yuans à Shanghaï, Sami Habibi ne tarit pas d'éloges sur cette « ville à la campagne » de deux millions d'habitants : « C'est le paradis du commerce ! » Installé ici depuis trois ans avec sa famille, ce colosse afghan aux yeux bleus a monté sa société d'import-export, Muswer Habibi International Trading, où travaillent une vingtaine de personnes, personnel chinois compris. « Si, à Canton ou à Shenzhen, vous trouvez tout le textile, les chaussures, les téléphones portables et l'électronique, explique-t-il dans un bon anglais, ici vous trouvez tout le reste, de moyenne qualité, mais à bas prix. » Sa société envoie près de 20 conteneurs par semaine en Afghanistan : petite électricité, tubes en PVC, plomberie, robinets, petit matériel de construction. « Nous avons une frontière commune avec la Chine et entretenons de très bonnes relations, dit-il, au point que les autorités chinoises ne font aucun problème pour délivrer des visas pour nos familles qui ont fui la guerre civile. »

Devant le café « Chez Muhamad », dans une des rues principales de la ville, l'enseigne est traduite en quatre langues : chinois, arabe, anglais et russe pour les musulmans d'Asie centrale. Un jeune Iranien termine ses ablutions avant de déjeuner. « Depuis deux ans, je fais des allers-retours permanents entre Téhéran et Yiwu, j'achète de tout ici, les Chinois sont chaleureux et accueillants, savent faire des affaires comme nous et on se sent très libre de circuler, la vie est agréable dans cette ville encore très provinciale. » Assis à une table voisine, Louis C. Nwakwusi, homme d'affaires nigérian de la Shudi Bros Trading Company, offre sa carte de visite : « J'envoie deux conteneurs par mois de lunettes de soleil au Nigeria pour ma société et un conteneur de thermos et autres gadgets pour mon compte personnel... »

Un peu plus loin dans une enfilade de ruelles où se bousculent des bureaux et des petits entrepôts qui attendent les camions porte-conteneurs, le « Salon de thé » d'une famille yéménite propose du très bon café et des pâtisseries orientales. « On a ouvert il y a deux ans et demi », raconte le patron qui est en train de déjeuner en zappant sur toutes les chaînes du câble venant du Qatar, d'Arabie saoudite, de Dubaï ou du Koweït. « Les autorités disent qu'il y a plus de 150 000 commerçants arabes qui viennent faire des affaires ici chaque année, explique-t-il, mais je pense qu'il y en a bien davantage, lorsqu'on voit le nombre de restaurants musulmans qui ouvrent tous les mois et surtout le nombre de fidèles à la mosquée de la ville chaque vendredi, la foule déborde dans la rue ! »

Mal rasé et les yeux fatigués, Hussein, « l'Irakien parlant français », vient rendre visite à son amie Annie Wu. « On se connaît bien, elle est très efficace et m'a beaucoup aidé lorsque je suis arrivé il y a huit mois », souffle Hussein dans un très bon français appris durant un exil de dix ans à Paris. « On bosse comme des fous ici, dit-il, mais les Chinois travaillent comme des damnés, on n'a rien à leur apprendre côté business, tout est possible ici, tout problème a sa solution, il faut de la patience, des sourires et de l'énergie mais... ne jamais s'énerver ! Rien à voir avec la France, sans même parler de l'Irak, bien sûr. On a beaucoup à apprendre des Chinois. » Hussein compte maintenant s'installer à Yiwu, « un univers qui me séduit ».

Yiwu vient d'inaugurer son nouvel aéroport l'année dernière. On croise de plus en plus de BMW et de Mercedes noires. « La ville s'enrichit de jour en jour », assure Yangyan, une jeune femme d'affaires au volant de sa nouvelle voiture de luxe japonaise offerte par son mari pour son anniversaire. Elle vient d'ouvrir son deuxième atelier de bijoux fantaisie et ne connaît pas la crise : « Quelle crise ? », lance-t-elle en montrant une résidence de grand luxe en construction, habillée d'échafaudages en bambou : « Ce seront les appartements les plus chers de Yiwu et ils sont déjà tous vendus. »


En égypte, les Chinois vendent des vêtements au porte-à-porte - Nina Hubinet

Depuis une dizaine d'années, les Égyptiens ont pris l'habitude de voir de jeunes Chinoises chargées de lourds sacs de vêtements sonner à leur porte. Pour alimenter ce commerce, une partie de la marchandise est désormais produite dans de petits ateliers locaux.

Elle se fait appeler « Lina », plus facile à prononcer pour les Égyptiens que son prénom chinois. Lina vit en Égypte depuis deux ans et parle un peu l'arabe, assez pour gérer ses affaires. « Elle a appris comme ça, dans la rue, en parlant avec les gens », affirme Saleh, un chauffeur égyptien qui travaille avec elle, admiratif.

Originaire du Dongbei, dans le nord-est de la Chine, Lina est venue en Égypte pour travailler comme vendeuse de vêtements au porte-à-porte. « En Chine, dit-elle, je travaillais dans le bâtiment. » Région industrielle sinistrée, le Dongbei a du mal à retenir ses habitants. « Ma soeur aînée était là depuis un an à travailler comme vendeuse ambulante. Elle a fait venir son mari et ses enfants, puis mon autre soeur et moi », raconte la jeune femme de 39 ans, divorcée. Aujourd'hui, elle gère un magasin de gros où les vendeurs ambulants viennent se fournir. Ce commerce officiel lui permet d'avoir un permis de séjour, contrairement à la plupart de ses compatriotes qui font le même métier.

C'est dans un quartier pauvre au nord du Caire que Lina, ses proches et quelques dizaines d'autres Chinois du Dongbei se sont installés. Certains fabriquent des pyjamas et des robes de chambre dans de petits ateliers clandestins, les autres travaillent comme vendeurs au porte-à-porte. « Surtout des filles, car les gens les laissent plus facilement entrer chez eux », explique Saleh, 47 ans, qui conduit chaque jour un groupe de vendeurs dans un village reculé du delta du Nil ou dans un quartier populaire du Caire. La plupart ne connaissent que les quelques mots d'arabe nécessaires pour négocier, mais proposent des prix attractifs.

« C'est à la campagne qu'ils font les meilleures affaires », assure Saleh. Selon lui, les vendeurs chinois gagneraient jusqu'à 600 € par mois, une somme en Égypte, où 40 % de la population vit avec moins de deux dollars (1,40 €) par jour. La quasi-totalité de cet argent est envoyée en Chine. D'abord pour rembourser les dépenses liées au voyage : en plus du billet d'avion, chacun a dû verser entre 600 et 1 200 € à des « intermédiaires » pour obtenir un passeport international. « Ici, ils ne dépensent presque rien, ils habitent à sept ou huit dans un appartement », témoigne le chauffeur égyptien.

Les investissements chinois en Égypte ont été multipliés par dix en dix ans, pour atteindre 335 millions d'euros en 2008. En quelques années, les produits chinois ont envahi les marchés égyptiens. Avec ses 80 millions d'habitants, l'Égypte est un formidable marché de consommation pour l'économie chinoise. « Lorsque 100 conteneurs de vêtements chinois arrivent au port d'Alexandrie, il y a souvent un conteneur supplémentaire non déclaré. Contre un bakchich, les douaniers égyptiens ferment les yeux », explique Michel Beuret, coauteur avec Serge Michel et Pao lo Woods de La Chinafrique (Éd. Grasset). La vente au porte-à-porte permet ainsi d'écouler les fins de stock des usines chinoises.

Sur le marché d'Attaba, dans le centre du Caire, Ahmed vend des chemises de nuit en coton - égyptiennes - pour 25 livres (3 €). « Les Chinois se fournissent dans les magasins de gros. Mais ils ne sont pas très nombreux pour l'instant », estime-t-il. Leur spécialité, ce sont les vêtements d'intérieur pour femme : galabiyah (robe ample), nuisettes en soie et dessous sexy pour les futures mariées. Un choix stratégique : lorsqu'une fille prépare ses noces, sa famille peut dépenser une fortune.

Même si les affaires marchent bien, Lina n'imagine pas s'installer définitivement dans ce pays à la culture si différente. « Je vais rester encore un peu, pour rassembler assez d'argent. Puis je rentrerai, pour être avec ma fille. » Âgée de 16 ans, celle-ci vit avec son grand-père en Chine. Lina ne l'a pas vue depuis deux ans.

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