Dans une bonne partie du monde, l'année nouvelle ne commencera que le 14 février, jour du Nouvel An chinois. Adieu l'année du Boeuf, bonjour l'année du Tigre. Selon l'astrologie chinoise, ce tigre-là sera de métal. De quoi glacer les sangs de ceux qui, en Occident, au Japon ou en Inde, assistent à l'inexorable ascension du géant chinois sur la scène mondiale, en se demandant où cela va s'arrêter. Pékin vient d'ailleurs d'annoncer une prévision de croissance de son PIB de 9,5 % en 2010. La crise ? Quelle crise ?
Ailleurs, le spectre de la Grande Dépression s'est éloigné, mais une crise peut en cacher une autre. La grande secousse financière mondiale, en affaiblissant la légitimité et l'autorité du pays dont elle est partie, les Etats-Unis, a entraîné une crise de la gouvernance mondiale. Qui gouvernera le monde en 2010 ? La question agite autant Pékin que Washington, Tokyo ou Bruxelles, tant 2008 et 2009 ont été, de ce point de vue, dévastatrices.
Si la conférence de Copenhague sur le changement climatique, en décembre 2009, est une indication, la reconstruction de l'ordre international ne sera pas un long fleuve tranquille. Copenhague, c'est d'abord l'échec de la gestion de l'ONU, temple du multilatéralisme hérité de la seconde guerre mondiale. Les organisateurs ont été impuissants à concilier les exigences de 193 Etats, dont certains étaient, suivant l'expression de Coluche, plus égaux que les autres. La formule des blocs de pays n'a pas mieux fonctionné. L'Union européenne a été absente.
C'est finalement une poignée de dirigeants qui a conclu, a minima, la négociation, non sans quelques péripéties révélatrices. Barack Obama a eu beaucoup de mal à gérer une relation directe avec le premier ministre chinois, Wen Jiabao, qui tantôt lui envoyait ses adjoints, tantôt lui préférait la compagnie des dirigeants des pays émergents. Non seulement M. Obama, pensant s'asseoir seul avec le Chinois, eut-il la surprise de trouver, attablés autour de M. Wen, les présidents brésilien Lula et sud-africain Zuma, ainsi que le premier ministre indien Singh - censé être déjà parti -, mais le chef de l'Etat américain était tellement le bienvenu qu'il dut se trouver lui-même une chaise pour s'asseoir à côté de " my friend Lula - Hey Lula ! ".
Copenhague a aussi sonné le glas du " G2 ", si tant est qu'il ait jamais existé. Forgée par l'historien de Harvard Niall Ferguson, en 2007, sous le terme de " Chimerica ", l'idée d'un tandem sino-américain, alliance du plus gros débiteur mondial et de son principal créditeur, a été popularisée par Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller de Jimmy Carter, qui, il y a un an, a avancé le concept d'un G2, " le groupe de deux qui pourrait changer le monde ".
Les Chinois n'ont aucune envie de cogérer le monde avec les Américains, encore moins de le changer, pour le moment. Wen Jiabao l'a dit, en mai 2009, en dénonçant le concept de G2 comme " mauvais et sans fondement "; il lui préfère de loin " la multipolarité ". On aurait pu imaginer les dirigeants chinois flattés de se voir soudain hissés si haut sur le podium du monde; c'est mal connaître leurs préoccupations, concentrées sur leur phénoménal effort de croissance et leur stabilité interne. Pour eux, le G2, c'est offrir à la Chine de remplacer l'URSS dans le couple soviéto-américain de la fin de la guerre froide. Loin de revendiquer un statut de superpuissance, la Chine veut être considérée comme un pays en développement, conformément aux statistiques du PIB par habitant : 3 566 dollars pour la Chine, 46 443 pour les Etats-Unis. Le Japon est, à ce jour, la deuxième économie du monde et la Chine ne produit que 7,1 % du PIB mondial.
Etre une superpuissance crée des attentes et des devoirs. Une superpuissance doit avoir une monnaie convertible. Une superpuissance peut être appelée à devenir le gendarme du monde. Même si Pékin ne rechigne plus à prêter des casques bleus à l'ONU ni à envoyer des navires de guerre dans le Golfe d'Aden, ses priorités sont ailleurs. Les dirigeants chinois savent quelles tensions cette posture générerait en Asie : que ce soit le Japon ou l'Inde, les autres puissances verraient d'un très mauvais oeil Pékin prendre avec Washington les rênes de la gouvernance mondiale - sans parler de la Russie.
Qui, alors ? La mondialisation a fait apparaître de nouvelles configurations, du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) au G20, sur les ruines du G8. Copenhague a même inventé le Basic (Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine). La crise financière a tout accéléré : le G20 est devenu un sommet de chefs d'Etat, puis en avril 2009 une instance décisive pour sauver la communauté internationale de l'abîme financier, à Londres, où la Chine a fait montre d'une assurance nouvelle. Quel que soit le schéma, la Chine y aura un rôle central, qu'elle-même ne semble pas avoir encore défini. En dépit de leur fragilité financière, les Etats-Unis restent la première économie du monde, les champions de l'innovation technologique et surtout l'unique superpuissance militaire. Ce sont les deux seules certitudes. Comment le monde s'articule, dans et autour de ces deux géants, reste à écrire. Bipolarité, multipolarité, alliances et contre-alliances : sous le signe du Tigre, tout est possible.
Sylvie Kauffmann
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