L'armée chinoise n'est plus une lourde masse de défenseurs statiques du territoire de l'empire, mais une force moderne capable d'aller porter le feu loin de ses bases. Quelques heures avant que ses soldats ne martèlent au pas de l'oie la place Tiananmen, pour le 60e anniversaire de la République populaire le 1er octobre, le ministre chinois de la Défense, Liang Guanglie, a accordé un rare entretien pour faire passer en substance ce message. Il y affirmait que l'Armée populaire de libération (APL), désormais au niveau technologique occidental, ou presque, était prête à se projeter loin des frontières et côtes de la Chine.
Ce qui se voulait un constat relève encore en partie d'une affirmation d'ambitions, car l'armée chinoise a toujours du chemin à parcourir sur bien des registres. Sur le plan matériel, d'abord. La plupart des armements « chinois » ne sont qu'une sinisation de technologies soviétiques, même si Pékin a la ferme volonté de s'émanciper de cette dépendance. Son chasseur J 10, par exemple, ne vole que grâce à un moteur russe, le réacteur chinois n'étant pas encore très au point. Les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, non seulement ne sont pas encore opérationnels, mais sont considérés par les experts comme « une demi-génération » en dessous des meilleurs SNLE occidentaux ou russes, avec une signature plus bruyante notamment. La marine est d'ailleurs la grande priorité actuelle, le président Hu Jintao voulant rester comme celui qui aura doté la Chine d'une force navale de haute mer, capable de protéger les lignes d'approvisionnement stratégiques qui obsèdent Pékin.
Mais c'est surtout dans la logistique, le transport, les communications et les chaînes de commandement que l'APL a le plus d'efforts à fournir. Sur le terrain, les généraux chinois travaillent dur à cette nouvelle capacité de projection voulue par Pékin. Dans ce pays-continent, le défi se joue d'ailleurs déjà à l'intérieur des frontières. Pour la première fois depuis la création de l'APL, un grand exercice impliquant quatre des sept régions militaires chinoises a été organisé au mois d'août dernier. Les manoeuvres « Kua Yue 2009 » (« Traversée ») ont impliqué 50 000 hommes. Deux par deux, des régions militaires éloignées ont échangé une division entière. « Tous les moyens de transport ont été utilisés, sur des distances de plus de 2 000 kilomètres », rapporte le journal de l'armée. Le tremblement de terre du Sichuan, les événements du Tibet ou du Xinjiang, ont montré aux dirigeants chinois les déficiences dans ce domaine. « Les régions militaires n'ont pas de vrais systèmes de communication qui les connectent, confie un spécialiste, tout passe par Pékin et l'on imagine les problèmes de coordination que cela peut poser. » L'encadrement très politique de l'armée reste aussi un frein à la souplesse et à l'initiative tactique requises par le combat moderne.
L'autre grand axe d'effort concerne la ressource humaine, dont il faut élever le niveau pour servir cette modernisation. Les programmes de toutes les écoles militaires vont être refondus. Et surtout, des efforts considérables sont faits pour augmenter le niveau de qualification des recrues. La crise économique, il est vrai, est venue à point pour servir cette ambition, les 6 millions de nouveaux diplômés annuels étant loin de tous avoir trouvé un travail satisfaisant. Selon les chiffres officiels, 130 000 jeunes issus de l'université devaient être recrutés cet hiver par l'armée. Des primes très attractives de 24 000 yuans (2 400 euros) ont été offertes aux candidats. De quoi payer leurs études universitaires ou rembourser leurs emprunts étudiants. Plus généralement, les soldes de l'APL ont été notablement augmentées ces dernières années, allant jusqu'à doubler pour certains grades.
Militarisation de l'espace
Cette montée en gamme technique permet déjà à la Chine d'être très en pointe côté cyberguerre et de progresser rapidement dans le domaine spatial. Sur ce registre, les propos du patron de l'armée de l'air chinoise, le général Xu Qiliang, début novembre, estimant que la militarisation de l'espace était un phénomène historiquement « inévitable », ont suscité un certain émoi. D'autant qu'au même moment, un site Internet d'analyse militaire, IMINT & Analysis a présenté une image satellite d'un site présumé d'armes antisatellites. Un discours ultérieur du président Hu Jintao sur la stratégie pacifique de la Chine dans l'espace a semblé désavouer les propos de son général. Il n'en est sans doute rien. La Chine se permet aujourd'hui d'affirmer de façon de plus en plus décomplexée que sa stratégie inchangée de soft power n'est pas incompatible avec une quête volontaire des moyens traditionnels de la puissance.
Arnaud de la Grange
PHOTO - Le ministre de la Défense, Liang Guanglie, lors d'une visite en Thaïlande, le 2 décembre 2009 / Reuters
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