A peine commencée, l'année est déjà chinoise . 2010 a vu le produit intérieur brut de la Chine dépasser celui du Japon, et les exportations chinoises devancer celles de l'Allemagne. La Chine est doublement sacrée : deuxième économie de la planète, premier exportateur mondial. A la " une " de la presse, chiffres et estimations dressent le portrait de la superpuissance de demain. Exemples. D'ici à la fin de l'année, le budget chinois de la défense deviendra le deuxième du monde. Les 27 millions d'étudiants du pays forment la plus forte concentration de QI jamais assemblée. Dans les cinq ans à venir, l'empire du Milieu construira 97 aéroports et 83 métros pour ses mégalopoles. Doté de plus de 2 milliards de dollars (1,42 milliard d'euros) de réserves, le fonds souverain chinois est potentiellement le plus gros investisseur mondial.
Avec une croissance à deux chiffres, la Chine tire l'économie mondiale. L'inventeur du concept des BRIC (les puissances émergentes que sont le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine), Jim O'Neill, économiste en chef de la maison Goldman Sachs, prophétise : en 2027, la puissance économique chinoise aura rattrapé celle des Etats-Unis. Si Goldman Sachs le dit... Preuves ultimes : à Davos, l'unique restaurant chinois est réservé depuis des semaines, parce que Pékin a dépêché au Forum sa plus nombreuse délégation; aux Internatinaux de tennis d'Australie, deux Chinoises étaient en demi finale...
Dans l'unanimisme des experts célébrant l'inévitable avènement de l'ère chinoise, il y a une voix dissidente : celle de l'Américain Minxin Pei (université de Princeton), qui, dans la revue de la Fondation Carnegie, émet des doutes sur la capacité de la Chine à passer du statut de puissance à celui de superpuissance.
Réserves économiques d'abord. Rien ne prouve que Pékin saura maintenir pareil taux de croissance. L'histoire économique enseigne plutôt le contraire. La Chine vieillit : les plus de 60 ans représenteront près de 20 % de la population d'ici à 2020. Tiré par les exportations et un yuan sous-évalué, son modèle de développement n'est pas à l'abri de réactions protectionnistes. La Chine n'a pas encore montré son aptitude à la transition vers un type de croissance nourrie par la demande intérieure. Il lui faudra au moins trente ans pour sortir de la misère ses centaines de millions de paysans.
Réserves " écologiques " ensuite, dans un pays où la pollution tue quelque 750 000 personnes chaque année. La Chine ne restera pas longtemps indifférente au coût environnemental d'un mode de développement ravageur.
M. Pei formule des réserves politiques sur la capacité du Parti communiste à conserver le monopole du pouvoir en cas de baisse durable de la croissance. Il note la méfiance que Pékin suscite dans son environnement, de l'Inde à la Russie. Il est moins péremptoire que les prophètes de l'ère chinoise. Raison de plus pour lui prêter l'oreille.
Alain Frachon / Courriel : frachon@lemonde.fr
© 2010 SA Le Monde. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire