C'est une énigme à plusieurs milliards de dollars. Depuis l'automne dernier, le gouvernement chinois tente de déterminer si une « bulle » menace son marché immobilier. Alertées par des articles de presse, par les mises en garde de certains développeurs mais aussi par l'immense popularité nationale de la série télé « Woju » (un appartement d'escargot), qui conte les malheurs d'un couple aux revenus modestes confronté à l'envolée du tarif du mètre carré à Shanghai, les autorités ont multiplié, ces derniers jours, les avertissements cinglants contre les « spéculateurs » qui dérégleraient le marché et pousseraient artificiellement les prix à un niveau inaccessible pour la plupart des familles du pays.
Fin décembre, le Premier ministre lui-même est intervenu pour assurer que le gouvernement allait s'attaquer à la poussée « excessive » du prix des logements dans certaines villes. Hier, Zhang Weixin, le ministre du Logement, a annoncé que le pays allait restreindre l'accès aux crédits pour les personnes envisageant l'acquisition d'un second logement et encore lutter contre les investissements spéculatifs. Il n'a toutefois dévoilé aucune mesure précise, laissant entrevoir les hésitations de l'exécutif chinois qui s'est, pour l'instant, contenté de durcir l'accès à l'exemption de la taxe sur la vente d'immobilier - il faut désormais garder son bien au moins cinq ans pour pouvoir en profiter. « Tout cela est très compliqué à gérer pour Pékin. D'un côté, la bonne santé de l'immobilier contribue largement à la reprise. De l'autre, cette poussée a laissé entrevoir des déséquilibres forts », résume Patrick Chovanec, professeur associé à l'université Tsinghua de Pékin, qui s'interroge comme la plupart des économistes sur la réalité de la formation d'une bulle immobilière.
Le débat s'est amplifié dans le pays lorsque les statistiques officielles ont montré, il y a quelques jours, que les prix de l'immobilier dans 70 villes de Chine avaient progressé de 5,7 % en glissement annuel en novembre, soit la plus forte hausse en seize mois. Dans certains quartiers de Shanghai, Pékin ou Shenzhen, le prix du mètre carré est désormais comparable à celui pratiqué dans les plus beaux arrondissements de Paris. Cette envolée s'accompagne d'une pénurie de logements de gamme basse ou moyenne qui provoque l'ire de l'opinion publique.
Droit de jouissance des terres
Si tous les experts constatent ce phénomène, beaucoup pointent la spécificité du marché chinois et ne perçoivent pas de risque de « bulle » majeur. Dans une étude, Pierre Mongrué, le conseiller financier de la mission économique française à Pékin, rappelait récemment que le taux d'urbanisation (45,7 % en 2008) était encore faible dans le pays et que la demande de logement en ville allait naturellement rester soutenue. Par ailleurs, explique-t-il, les collectivités locales, qui sont les seules à pouvoir accorder le droit de jouissance des terres dans le pays, tirent une part importante de leurs revenus de la vente de terrains aux développeurs immobiliers et ont donc tout intérêt à protéger une hausse des prix, qui leur a notamment permis de couvrir une partie des dépenses prévues par le dernier plan de relance. Il souligne encore que le peu d'opportunités d'investissements offertes dans le pays, où les marchés financiers restent sous-développés, incite nombre d'agents économiques à placer leur argent dans l'immobilier. « Pour les Chinois, les appartements sont perçus comme des réserves de valeur au même titre que l'or », confirme Patrick Chovanec, qui remarque que ce type d'investissement ne pourrait être endigué que si Pékin introduisait dans le pays une forme de taxe foncière pour freiner l'accumulation de biens.
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