Le manque de liberté individuelle de ce pays si singulier n'a pas entraîné de boycott touristique
«On peut dire ce qu'on veut sur la Chine mais c'est vraiment un pays incroyable », lâche spontanément Jeanne Bessis, 65 ans, qui vient de rentrer d'un séjour organisé de deux semaines dans l'empire du Milieu. Et Jeanne de s'extasier devant la « modernité, la folie des tours d'acier et de verre de Shanghaï, des aéroports ultramodernes, des hôtels et de la gentillesse des gens ». Dans le même registre mais à quelques années de différence, Elisa Fuksa, professeur d'art plastique, se souvient de son périple d'un mois en Chine en 1986 : « c'est le plus beau voyage de ma vie », confie-t-elle, en employant le présent. « On peut parler d'adoration naïve, dit-elle, mais en dépit des horreurs politiques avec Mao, la Révolution culturelle, les purges et les famines qu'a subies le peuple, je reste en extase devant ce pays singulier. » De toute évidence, dans l'esprit et le coeur des Français, la Chine tient une place à part. Le système communiste totalitaire du passé est loin d'être ignoré par les voyageurs se rendant en Chine mais il n'a jamais impliqué le boycott touristique de ce pays.
L'image d'une Chine mythique, civilisation cinq fois millénaire, n'a cessé d'être entretenue dans notre pays depuis Louis XIV, les jésuites, Voltaire, les peintres et photographes, au point, parfois, de nous identifier à cet empire. L'attrait qu'exerce la Chine a toujours surpassé les vicissitudes politiques dans les motivations des touristes et voyageurs. Il faut « aller voir ». France Vergely a fait partie des premiers groupes d'étudiants français à se rendre en Chine, en 1966, juste au début de la Révolution culturelle (1). « C'était juste avant 1968 en France, nous n'étions pas très politisés et c'était la curiosité qui nous poussait à la découverte de la Chine. De Gaulle avait reconnu la République populaire de Chine en 1964, personne n'avait pu s'y rendre auparavant. On voulait connaître ce peuple, cette civilisation que dirigeait un homme : Mao. » Elle avoue une certaine frustration durant son séjour car ils étaient contrôlés et les manifestations commençaient à Pékin. « On a vu comment le régime pouvait tout camoufler à l'étranger et on n'y comprenait rien. En fait, on a toujours fait abstraction du régime communiste et de ses répressions, le pays mystérieux prenait le pas sur le politique et on avait l'impression de vivre l'Histoire à Pékin. »
La fermeture de la Chine pendant plusieurs décennies a nourri les fantasmes au point que des intellectuels français, les « Mao », avaient idéalisé le Grand Timonier jusqu'à en faire un modèle. Le réveil, quelques années plus tard, a été rude mais là encore il fallait aller voir. L'arrivée du « Petit Timonier » Deng Xiaoping en 1977 et sa politique d'ouverture changeaient l'ordre des choses. La Chine s'ouvrait aux touristes, surtout aux groupes organisés, et l'occasion était offerte de rencontrer ce « grand pays, cette culture éternelle, cet empire debout depuis des siècles ». Les agences touristiques se sont lancées en montrant les monuments du passé et les lieux prestigieux que tout le monde n'avait pu voir qu'en photo. Pour la Chine, l'ouverture politique passait par le tourisme, qui rapportait de l'argent et dont elle se servait pour présenter une image riche en patrimoine. Il fallait recouvrir les horreurs du maoïsme sous la culture d'un passé glorieux. « La Chine a bien joué la corde du "nous, on n'est pas pareil, ici, c'est autre chose, un autre pays, une autre culture" », argumente Agnès Gaudu, journaliste sinologue à Courrier international, qui a fait ses études à Pékin à partir de 1979, juste au moment de l'ouverture, soulignant qu'il s'agissait d'une « expérience personnelle ». Toutefois, elle explique : « contrairement à bien d'autres, je n'y suis pas allée pour la culture millénaire, je voulais voir le système de ce pays. » La question du régime communiste qui l'aurait empêchée de s'y rendre ne s'est pas posée pour elle. « L'énormité de la Chine culturelle effaçait tout le reste, même si les gens connaissaient très bien la nature du régime », assure Agnès Gaudu, racontant qu'elle était à Pékin lorsque la Zone économique spéciale de Shenzhen a été lancée : « je vivais l'histoire en direct mais je ne m'étais pas rendu compte de la portée de cette annonce. » Celle qui allait transformer la Chine en puissance économique mondiale... où tout le monde veut se rendre. Pour visiter ou y faire des affaires.
EN CHIFFRE :
C'est désormais la 4e destination touristique mondiale : 130 millions de visiteurs en 2008 (y compris ceux venus de Hong Kong, de Macao et de Taïwan), soit 140 milliards d'euros de revenus (+ 5,8 % par rapport à 2007) dont 28 proviennent des voyageurs étrangers, le reste émanant du tourisme intérieur, en hausse constante depuis dix ans. La Chine compte 34 sites classés au patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco.
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