L'actuel problème de communication - doux euphémisme - entre Occidentaux et Chinois vient sans doute d'un malentendu fondamental sur le mode de pensée des dirigeants communistes. Longtemps, on a cru que la mise sur la voie des réformes de la Chine par Deng Xiaoping signifiait une adhésion au schéma politico-économique occidental, et que l'ouverture économique allait précéder la libéralisation politique. Vue des États-Unis ou d'Europe, la stratégie à suivre était « l'engagement » de la Chine, en l'amenant sur la voie des réformes, y compris sociales et politiques. Tout ne se passe pas comme prévu.
À la fin des années 1980, alors que le bloc de l'Est implose, Francis Fukuyama proclame « le triomphe de l'Occident et des idées occidentales ». Mais, dans son passionnant livre China's Communist Party : Atrophy and Adaptation, David Shambaugh montre que les hiérarques chinois ont étudié avec soin l'effondrement de l'URSS - et sont arrivés à d'autres conclusions. Ils y ont vu un manuel de tout ce qu'un parti communiste au pouvoir ne doit pas faire. L'universitaire américain liste les erreurs fatales identifiées par Pékin : la stagnation économique, les aventures militaires extérieures et la fossilisation des modes de fonctionnement du parti. La démission progressive devant les idées réformistes, aussi, qui a fissuré irrémédiablement l'édifice, d'où le verrouillage actuel à Pékin. Enfin l'isolement international, avec la chute des pays frères. D'où « le soutien, discret mais ferme, de trublions comme la Corée du Nord, la Birmanie, le Soudan et surtout l'Iran », note un observateur. Un diplomate africain raconte qu'en privé, les envoyés chinois sur le continent noir « expliquent comment les mythes de bonne gouvernance des Occidentaux ont conduit maints pays d'Afrique au chaos, alors que la voie chinoise permet le décollage économique et la stabilité ».
Les affaires du monde sont encore très secondaires pour les dirigeants chinois, toujours accaparés par leurs problèmes internes. Et l'exportation d'un « contre-modèle » chinois est surtout un outil au service de la survie du système. Le « consensus de Pékin » remplacerait ainsi le « consensus de Washington », avec le modèle d'un autoritarisme modernisé supplantant celui de la démocratie. Sur ce registre, l'histoire retiendra sans doute comme date fondamentale la déflagration financière de l'automne 2008. Ce qui ressemblait à un combat d'arrière-garde est soudain apparu comme une alternative au fiasco ultralibéral.
Ce modèle chinois n'est pourtant guère théorisé ni cohérent. Les dirigeants continuent à gouverner selon la formule de Deng Xiaoping, « en tâtant les pierres pour traverser le gué ». Contrairement à ce qu'ont pensé beaucoup d'Occidentaux, l'intention des dirigeants chinois n'est pas d'ouvrir la voie à une évolution prudente vers plus de démocratie, mais de rendre le régime de parti unique plus efficace et donc durable. En 1997, Bill Clinton pouvait encore dire à son homologue chinois qu'il était « du mauvais côté de l'histoire ». Aujourd'hui, à Pékin, on veut croire qu'on est du bon côté, et que le monde est entré dans un nouvel âge des autoritarismes.
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