lundi 1 février 2010

Fierté chinoise - Dominique Moïsi

Les Echos, no. 20605 - Idées, lundi, 1 février 2010, p. 15

Au milieu des années 1980, les performances économiques supérieures de l'Allemagne par rapport à la France étaient pour de nombreux analystes la résultante directe des choix stratégiques faits par l'Allemagne. Elle n'était pas une puissance nucléaire et, sur le plan militaire, fidèle allié de l'Amérique, elle ne s'était pas dotée de capacités d'interventions indépendantes. Elle se consacrait à la croissance de son économie.

La Chine n'est pas l'Allemagne et les Etats-Unis ne sont pas la France, mais, toutes proportions gardées, la force de la Chine tient au fait qu'elle poursuit de manière quasi obsessionnelle, un seul et unique objectif. La poursuite de la croissance économique est la clef de la légitimité et sans doute de la survie même du régime. La Chine voit dans les derniers développements intervenus aux Etats-Unis tant sur le plan interne que sur le plan externe, de la défaite du Parti démocrate dans l'Etat du Massachusetts à l'enlisement de l'Amérique et de ses alliées en Afghanistan, comme une confirmation de la justesse de ses choix. Pour elle, la démocratie conduit à la paralysie et une responsabilité internationale majeure à la dispersion de ses efforts. Et que dire de sa lecture de l'évolution de l'Union européenne ? D'après elle, sûrement, si les Européens prenaient au sérieux les ambitions qu'ils affichent ils se seraient dotés de nouveaux dirigeants plus « charismatiques » à la tête des nouvelles fonctions créées par le traité de Lisbonne.

Pour Pékin, afin de continuer à progresser sur le plan économique, il faut à tout prix maintenir le statu quo sur le plan politique, quitte à entamer un bras de fer avec Google et les Etats-Unis sur la question de l'accès à Internet. Il y a du Guizot chez les dirigeants chinois : « Enrichissez-vous et pour le reste faites-nous confiance. » Une plaisanterie vaut parfois toutes les analyses pour résumer une situation. Celle-ci qui m'a été rapportée par des Chinois de Taiwan est semble-t-il, très populaire en Chine. « En 1949, le socialisme a sauvé la Chine. En 1979, le capitalisme a sauvé la Chine. En 2009, la Chine a sauvé le capitalisme. »

Le regard des Taïwanais sur l'évolution de la Chine continentale est de ce point de vue éclairant. Ils sont partagés entre appréhension et fierté. Comme le reste de l'Asie, ils se demandent comment « équilibrer » la Chine, une question qui revient lancinante de Tokyo à Singapour jusqu'à New Delhi et qui présuppose le maintien de l'Amérique comme « puissance asiatique ».

Mais les Chinois de Taiwan ne sont pas seulement soucieux de la préservation de leur « originalité démocratique », ils sont de plus en plus fiers des succès économiques de la Chine continentale, qu'ils attribuent certes au choix fait du capitalisme, mais un capitalisme qui n'est pas une importation de l'Occident, mais une réalité profonde de la culture chinoise. Ils vont même jusqu'à défendre les dépenses militaires de Beijing. La Chine, dans son histoire millénaire, a toujours eu des armées importantes, mais, à l'exception de la période des empereurs mongols, elle n'a pas eu de tradition d'expansion militaire. Pourquoi en serait-il autrement aujourd'hui ? La Chine n'a rien à voir avec l'Allemagne de Guillaume II !

Equilibrer ou contenir la Chine aujourd'hui n'a pas seulement une signification économique ou stratégique, mais a également une dimension idéologique. Le déclin relatif de l'Occident par rapport à la Chine et la montée irrésistible de la puissance chinoise en Asie pose le problème de l'attractivité sinon de l'universalisme du modèle démocratique occidental. Il y a quelques semaines s'est produit un événement d'une portée symbolique considérable. Le directeur d'un institut de recherche sur les sciences de la vie à l'université de Princeton a décidé d'abandonner les extraordinaires facilités dont il disposait en Amérique pour accepter une offre de son pays d'origine, la Chine. « Je peux faire la différence là-bas plus qu'ici », a-t-il simplement expliqué pour justifier sa décision. Autrement dit sa culture profonde l'a emporté sur sa culture politique d'adoption. Si de nombreux Chinois qui ont réussi en Occident confirment ce choix, l'Amérique et l'Europe ont du souci à se faire. Face au défi chinois, il nous faut tout simplement être meilleurs, bien meilleurs.

DOMINIQUE MOÏSI EST CONSEILLER SPÉCIAL À L'IFRI.

PHOTO - Shi Yigong resigned from the faculty of Princeton University and became the dean of life sciences at Tsinghua University in Beijing.

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