lundi 1 février 2010

La Chine, l'Inde et la Corée exhibent leur puissance au Forum de Davos

Le Figaro, no. 20373 - Le Figaro Économie, lundi, 1 février 2010, p. 24

Le
Forum économique mondial, qui s'est tenu du 27 au 31 janvier, a été marqué par une inversion des rôles entre les émergents et les pays avancés.

Le président d'Afrique du Sud défendant la polygamie devant un millier de patrons et de hauts responsables politiques... Le spectacle offert par Jacob Zuma, qui a trois épouses, n'était pas banal. « C'est une part de ma culture, et il n'y a pas de culture supérieure aux autres », s'est-il justifié.

Le temps est loin où les dirigeants des pays émergents venaient à Davos pour solliciter les investisseurs en se soumettant aux normes occidentales du capitalisme. Forts de leurs succès et de leur résistance à la crise, il leur suffit désormais de se présenter sans complexe. Li Keqiang (PHOTO), pressenti pour devenir premier ministre chinois en 2012, a expliqué comment son pays avait pu contenir à moins de 3 % du PIB le déficit public, malgré un plan de relance quasi soviétique très supérieur à ce chiffre. Voilà qui montre de facto que les déficits budgétaires sont solubles dans la croissance économique (de 8,7 % en 2009). « La Chine va-t-elle être perçue comme le modèle de développement sans libéralisme politique ? », s'inquiète Kenneth Roth, directeur de l'ONG Human Rights Watch.

L'Inde, dont le système bancaire reste peu développé, a été peu touchée par le tsunami financier. « Nous allons assez vite retrouver notre norme de croissance de 9 % l'an, après être tombé à 7 % en 2008 et 2009 », prévoit Montek Ahluwalia, responsable de la commission de Planification. Il compte pour cela sur une relance des investissements d'infrastructure, dont son pays a cruellement besoin, indépendamment de la conjoncture mondiale.

Présent au Forum avec sa double casquette de président de la République de Corée et de président du G20 pour l'année 2010, Lee Myung-bak « s'enthousiasme » pour ce nouveau rôle qui le met au centre de la gouvernance internationale. Alors que la réunion annuelle du G20 se tiendra à Séoul en novembre, il a décidé de réunir juste au même moment un « Sommet des entreprises privées ». Une excellente vitrine commerciale pour son pays qui s'est lancé à corps perdu dans la croissance verte.

Les Occidentaux se montrent, hélas, moins allants. « Il n'y a pas de quoi sabler le champagne », a lancé, chagrin, Lawrence Summers, le principal conseiller économique de Barack Obama. Les bons chiffres de croissance (5,7 %) du quatrième trimestre aux États-Unis ? « Il y a une reprise statistique et une récession très humaine », regrette-t-il. « Un homme américain sur cinq, âgé de 20 à 54 ans, est sans travail. Il n'y a pas de précédent. » On s'étonnera d'une analyse aussi « sexiste ». Summers serait-il un récidiviste, lui qui avait dû démissionner de la présidence de Harvard, après avoir déclaré que les filles étaient moins douées que les garçons en mathématiques ? Plus prosaïquement, le conseiller de la Maison-Blanche s'inquiète que « le chômage devienne structurel et frappe de plus en plus les classes moyennes ».

Les États-Unis et l'Europe voient en outre leur croissance entravée par l'envolée de leurs déficits publics, le prix à payer pour éviter que la récession se transforme en dépression. « Tôt ou tard, il faudra traiter le problème budgétaire, et cela prendra cinq, six ou sept ans, selon les pays », avertit Dominique Strauss-Kahn, le directeur du Fonds monétaire international. Le débat est d'ores et déjà sur la table comme l'a montré le psychodrame grec, qui donne une piètre image de l'Euroland. « La vraie question est que l'Europe a été la région la plus touchée par la crise et on ne voit pas où elle pourrait créer des emplois », souligne le patron d'une multinationale suisse. « Quand le chômage touche 20 % de la population, comme en Espagne, le danger est de tomber dans le populisme », ajoute-t-il.

Le populisme est l'un de ces mots clés qui ont scandé les réunions du Forum. Les banquiers stigmatisent ainsi les projets de régulation financière de Barack Obama. De leur côté, les Asiatiques assimilent « populisme et protectionnisme ». Ils s'inquiètent d'autant plus de l'attitude des gouvernements occidentaux qu'ils n'ont pas eux-mêmes la conscience tranquille. Ainsi Zhu Min, le vice-gouverneur de la Banque populaire de Chine, promis à un grand avenir au FMI : « Mon inquiétude est que la Chine a accru de 30 % ses investissements en 2009, que sa production des industries lourdes a augmenté de 22 %. Avec des surcapacités considérables par rapport à la consommation mondiale, notamment pour l'acier. » La relance « autoritaire » obligeant les banques à prêter et les entreprises à investir trouverait-elle ses limites ?

Heureusement, il y a la « croissance verte » et à cet égard la palme de l'originalité revient à Dominique Strauss-Kahn. Il part du constat que l'échec du sommet de Copenhague s'explique fondamentalement par un manque d'argent, tant des pays « riches » qu'en développement. Il propose donc la création d'un « fonds vert » de 100 milliards de dollars, en associant le FMI aux grandes banques centrales. Il s'agirait ni plus ni moins de créer des « liquidités », comme on a déjà tellement distribué, cette fois pour lutter contre le réchauffement climatique. L'expression « pompier » de la finance, qui désigne souvent le FMI, devrait être prise au pied de la lettre.

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