jeudi 18 février 2010

Fin de règne dans une Corée du Nord en lambeaux

Le Figaro, no. 20386 - Le Figaro, mardi, 16 février 2010, p. 8

Kim Jong-il fête aujourd'hui son 68e anniversaire sur fond de famine et de guerre de succession.

Dans la pénombre des bougies, tenaillés par la faim et la froidure de l'hiver, « nous osions parfois nous moquer de la bedaine de Kim Jong-il. Mais seulement avec la famille proche, car même entre amis c'était trop risqué ». Dix ans après avoir fui la Corée du Nord via la Chine, Jisong travaille dur à Séoul pour reconstruire sa vie, mais elle se souvient de la terreur de la dictature. Alors que le « cher leader » fête son 68e printemps, il a perdu son embonpoint à la suite d'une attaque cérébrale qui l'a frappé en 2008. Mais la jeune femme affirme que ses compatriotes ne manquent pas de commentaires acerbes à chuchoter à son égard.

« Le Soleil du XXIe siècle » aura connu des anniversaires plus radieux. Fidèle à la tradition, Kim Jong-il, a distribué « à tous les enfants » de Corée du Nord un cadeau à la veille de passer le cap. Cette année pourtant, les festivités s'annoncent frugales. Au moment où l'autocrate, à la silhouette désormais frêle, prépare sa délicate succession au profit de son plus jeune fils, Kim Jong-un, il est confronté à une aggravation de la crise économique qui fragilise son emprise totalitaire.

Fermeté de la Chine

La situation alimentaire des 24 millions de Nord-Coréens, dont 40 % souffriraient de malnutrition selon le Programme alimentaire mondial, s'est encore dégradée ces derniers mois, selon le gouvernement sud-coréen : il manquerait 1,8 million de tonnes de céréales en 2009 et la récolte est en baisse de 200 000 tonnes par rapport à 2008. La productivité a été frappée de plein fouet par la politique de fermeté du président sud-coréen, Lee Myung-bak, qui a réduit drastiquement l'approvisionnement en engrais. Autre facteur clé, la Chine, traditionnel parrain du régime, a partiellement coupé les vivres : Pékin a conditionné son aide économique à un retour de Pyongyang aux pourparlers à six sur le nucléaire. Et les finances du régime sont en lambeaux, à cause de nouvelles sanctions de l'ONU qui perturbent ses juteux trafics d'armes.

Au point que Kim Jong-il, lui-même, a reconnu dans le Rodong Shimun, le journal de la propagande, que son peuple ne mangeait pas à sa faim. Et de promettre de faire désormais de l'approvisionnement en riz sa priorité absolue. Déjà, le 1er janvier, le régime avait surpris en faisant de « l'amélioration du niveau de vie » sa nouvelle résolution pour l'année 2010, reléguant la rhétorique guerrière au second plan. Comme si le dictateur sentait monter le mécontentement d'une population à bout de souffle.

Mais le plus grave reste l'échec de la réforme monétaire brutalement imposée le 30 novembre dernier, la première depuis dix-sept ans. L'opération visait à renflouer les caisses de l'État en spoliant les petits entrepreneurs enrichis par le commerce avec la Chine, au nom de l'égalitarisme socialisme. « La réforme s'est retournée contre les autorités », constate Park Sun-song, professeur à l'Université Dongguk. Un vent de panique a soufflé sur les marchés des régions frontalières, conduisant à des réactions de mécontentement sans précédent, dont des violences physiques contre les autorités, rapporte l'organisation NK Daily.

Face à ces signaux, le dictateur a préféré battre retraite en limogeant le responsable et en tolérant de nouveau les marchés privés, indispensables à la survie des populations. « Sa priorité, c'est de s'assurer l'obéissance de la population pour réussir la succession », explique un Occidental qui a ses entrées à Pyongyang.

Plan d'urgence

Cette fragilité économique alliée à celle de la santé de Kim Jong-il a relancé les spéculations sur la durée de vie du régime. À Séoul, le Korea Institute of National Unification, proche du gouvernement, a jeté un pavé dans la mare en janvier en tablant sur une disparition du dictateur à l'horizon 2012, suivie de possibles manifestations ou d'un coup d'État. Inquiet devant la perspective d'une déstabilisation brutale de la péninsule, le gouvernement sud-coréen a tancé le think-tank et proclame que Kim Jong-il tient fermement les commandes. Mais, en coulisses, Séoul affine avec les États-Unis un plan d'urgence. « Un soulèvement populaire est impossible, il serait écrasé dans le sang », tranche Cheong Seong-chang, du Sejong Institute.

La bataille a déjà commencé pour gagner les faveurs du successeur, dont l'anniversaire a été pour la première fois célébré à travers le pays début janvier. Le crépuscule du « Soleil du XXIe siècle » a bien commencé, mais « tant qu'il sera là, rien ne changera », conclut Jisong.

Falletti, Sébastien

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La Chine à la rescousse de l'économie nord-coréenne

Le Monde - International, jeudi, 18 février 2010, p. 5

La récente visite d'un haut responsable politique chinois en Corée du Nord, largement passée sous silence dans les médias, pourrait déboucher sur un vaste plan d'investissement destiné à redresser l'économie du régime de Pyongyang. C'est ce qu'a indiqué, en début de semaine, une dépêche de l'agence de presse sud-coréenne Yonhap sous le titre : " La Corée du Nord attire 10 milliards de dollars - 7 milliards d'euros - en investissements étrangers. "

Une telle somme, considérable à l'échelle de ce pays puisqu'elle représente environ un quart du PIB estimé, serait à 60 % versée par des banques et des groupes chinois. Tel est en tout cas le projet qu'ont évoqué la semaine dernière le numéro un nord-coréen Kim Jong-il et le responsable du secteur international du Parti communiste chinois, Wang Jiarui.

Les médias chinois avaient mentionné la visite dans la capitale nord-coréenne du dignitaire pékinois mais n'avaient apporté aucune précision sur ce plan. S'il se réalisait, il illustrerait à quel point la Chine entend conserver un lien économique fort avec Pyongyang pour être en mesure de contraindre son voisin de revenir à la table des négociations sur le nucléaire.

Les relations entre les deux capitales se sont en effet dégradées depuis les essais nucléaires nord-coréens de 2008 et 2009, une provocation de son " allié " que la Chine a perçue comme un camouflet, tant cette décision ignorait les pressions de Pékin.

La Chine est prise dans un étau. Les gesticulations de son turbulent " voisin à problème ", comme le qualifie Sun Zhe, universitaire chinois spécialiste des questions de politique internationale, embarrassent Pékin, contraint de soutenir la Corée du Nord.

Un éventuel effondrement du régime du " Cher Leader " et la réunification de la péninsule représentent une perspective cauchemardesque pour la Chine, qui devrait alors absorber le choc provoqué par l'arrivée de réfugiés sur son territoire et partagerait désormais une frontière commune avec un pays - la Corée du Sud - où sont stationnés plus de 28 000 soldats américains. D'où la nécessité pour les stratèges chinois de garantir la survie de la Corée du Nord.

Pyongyang a beau être dépendant de la Chine à 80 % pour ses biens de consommation et à 40 % pour la nourriture, les autorités de Pékin savent qu'à l'égard de la Corée du Nord " la carotte économique " est sans doute plus efficace comme arme de pression.

Bruno Philip

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