lundi 22 février 2010

INTERVIEW - N. Rothschild : « Il faut interdire les CDS sur la dette souveraine »

Les Echos, no. 20620 - L'entretien du lundi, lundi, 22 février 2010, p. 14

Habituellement très discret, le président de NR Investments explique pourquoi il a abandonné l'activisme actionnarial et dévoile son appétit pour les matières premières.

Vous vous êtes rendu célèbre à travers les investissements de votre fonds Atticus, connu pour ses prises de position agressives. Quelle est votre stratégie aujourd'hui ?

J'ai tourné la page d'Atticus. Aujourd'hui, je me consacre à plein-temps à la gestion de mes placements personnels. Parmi ceux-ci, figure Attara Capital, l'héritier d'Atticus Europe dont le véritable inspirateur est David Slager, l'un des investisseurs les plus talentueux de Wall Street que j'avais débauché en 1998 de Goldman Sachs pour rejoindre Atticus. Je le connais depuis le début des années 1990 lorsque nous étudiions à Oxford. Attara est l'héritier du fonds européen d'Atticus qui, au sommet de sa gloire, affichait 11,5 milliards de dollars d'actifs sous gestion. J'occupe une place moins opérationnelle dans Attara, dont David détient la majorité, que dans Atticus auparavant, mais mon engagement reste entier.

Prônez-vous toujours l'activisme actionnarial ?

L'expérience d'Atticus Capital a été très enrichissante. Mon engagement dans la société était total. Son succès ne fait pas de doute si l'on considère qu'elle a généré, en plus de quinze ans de partenariat, 7,5 milliards de dollars de gains. Toutefois, aujourd'hui, je préfère m'engager directement et pour longtemps dans la vie des entreprises dont je suis actionnaire. Je privilégie désormais le contact étroit et suivi avec leurs managements. Je me vois comme un partenaire durable. Je pense que le système français qui donne aux actionnaires stables davantage de droits de vote qu'aux traders qui jouent le court terme est une bonne solution qui devrait être adoptée au Royaume-Uni. Les arbitragistes ne devraient pas être en mesure de forcer si facilement la main des directions des entreprises. Par ailleurs, je vais m'investir davantage, au côté de mon père, proche des soixante-quinze ans, dans la gestion des actifs de la famille. Quant à mes actifs personnels, je m'en occupe avec une petite équipe de collaborateurs.

Quel regard posez-vous sur le rôle joué par les spéculateurs dans la crise grecque ?

Il a été très, très grand. Tout cela s'est produit avec trop de facilité. Les gouvernements doivent prendre des mesures, par exemple interdire les CDS [« credit default swaps, NDLR] sur la dette souveraine. Je pense que cette crise c'est « beaucoup de bruit pour rien ». La Grèce représente 2,7 % du PIB de la zone euro. Il doit y avoir une solution, et les pays européens collectivement la trouveront. Ils le peuvent parce que le déficit primaire européen n'est pas si mal en point comparé à ceux des Etats-Unis, du Japon voire d'autres.

Bien sûr, la Grèce a besoin de mettre de l'ordre dans sa maison. Finalement, cette « crise » aura pour effet d'obliger la Grèce et d'autres pays à agir de façon plus responsable. Sur le long terme, tout cela va nous aider. Clairement, la dette à long terme des pays doit être appréciée à des niveaux différents. Naturellement, la dette allemande devrait être moins chère que celle de la Grèce. Heureusement, les économies continuent de se redresser, ce qui finira par aider les gouvernements avec leurs recettes fiscales. Dans trois à cinq ans les bilans des Etats seront meilleurs.

La City a payé un lourd tribut à la crise financière. Estimez-vous que la place de Londres est durablement affaiblie ?

Elle est attaquée de toutes parts. D'abord du fait de l'état des banques britanniques. Elles sont en mauvaise posture et se redressent beaucoup moins vite que leurs homologues américaines. Savez-vous que leur sauvetage a coûté 16 fois les sommes engagées par le gouvernement pour la guerre en Afghanistan ? Dans ces conditions, créer une taxe sur les bonus revient à se tirer une balle dans le pied. Les grandes banques étrangères, comme Goldman Sachs par exemple, présentes dans la City peuvent facilement délocaliser leurs équipes. Et je suis convaincu qu'elles le feront, car ces populations sont mobiles. D'autant que la fiscalité pour les sujets britanniques qui ne sont pas nés au Royaume-Uni est excessive. Or, on trouve dans cette catégorie beaucoup d'acteurs de premier plan des marchés. Nombre d'entre eux ne peuvent plus endosser cette pression fiscale. Ils s'en vont.

Songez-vous à vous expatrier ?

J'habite en Suisse depuis maintenant sept ans.

Avez-vous des relations avec la banque qui porte votre nom ?

J'ai d'excellentes relations avec Rothschild & Cie. Nous nous voyons régulièrement. Néanmoins, je ne suis pas un traditionnel banquier spécialisé dans les fusions-acquisitions. Je suis davantage un investisseur. Nos métiers sont différents. Je n'ai donc aucun rôle dans cet établissement financier.

En tant qu'investisseur, sur quels marchés misez-vous aujourd'hui ?

Les marchés émergents recèlent encore beaucoup de valeur en dépit de leur appréciation de ces dernières années. Je crois ensuite au marché américain. J'estime qu'il offre aujourd'hui les meilleures opportunités de placement. C'est l'un des moins chers à ce stade. Je garde une partie importante de mes actifs sous forme de liquidités.

Vous êtes très focalisé sur les matières premières. Pourquoi avoir investi récemment 100 millions de dollars dans Rusal ?

Je connais le groupe de l'intérieur. Ce n'est pas la société la moins chère du secteur mais c'est une très belle affaire, bien meilleure que ses concurrents Alcoa ou Chalco. En témoigne le grand intérêt exprimé par des centaines d'investisseurs pour son introduction en Bourse. L'offre a été sursouscrite 1,4 fois alors que le calendrier de l'introduction en Bourse ne pouvait pas être plus mauvais avec une baisse du titre juste après sa cotation. Les actifs de Rusal sont de grande qualité. Je reviens d'un tour en Sibérie où j'ai pu m'en rendre compte en personne. Les perspectives du marché de l'aluminium, dont la société est le leader mondial, sont prometteuses, notamment en Chine. Les usines de Rusal sont les plus proches à la frontière septentrionale chinoise. Le groupe exporte déjà en Chine environ 14 % de sa production de métal gris. L'objectif est de doubler ce pourcentage dans les toutes prochaines années. Le marché indien affiche aussi un fort potentiel de croissance. Rusal peut compter sur l'appui fourni par la formidable force de vente de Glencore, le numéro un mondial du négoce en matières premières actionnaire, à hauteur de 8,65 % de son capital.

L'endettement de Rusal n'est pas, pour vous, un sujet d'inquiétude ?

Pas du tout. La totalité du revenu de l'introduction en Bourse sera consacrée à restituer une partie des prêts. Etre coté facilite grandement l'accès au marché des capitaux. Rusal a mis en place un plan draconien d'économies. Je connais Oleg Deripaska depuis huit ans. C'est un véritable industriel aux grandes capacités de gestion. Il réussira à sortir la société des problèmes de la dette. Les banques créancières font confiance à Rusal et à son management. Les établissements financiers occidentaux ont accepté de restructurer sa dette à des conditions favorables. Ils lui ont donc donné le temps nécessaire pour rééquilibrer le bilan.

Mais investir dans une société qui fait face à autant de défis n'est-il pas risqué ?

De manière générale, l'investissement dans les matières premières est intrinsèquement risqué. Et puis, Rusal n'est pas le seul groupe minier et métallurgique à être endetté. On a d'autres exemples illustres de sociétés minières obligées de lever des capitaux à cause de la crise financière : Rio Tinto, Xstrata, Alcoa et ArcelorMittal. Pourtant, ces groupes ne se portent pas si mal aujourd'hui. Rusal n'était pas coté jusqu'à il y a peu. Contrairement à ces exemples, il se devait d'abord de se restructurer avant de lever des capitaux. Le placement dans Rusal devrait réserver les meilleurs et les plus sûrs rendements à l'échéance de cinq à dix ans car il est le principal producteur à bas coûts de son marché. J'attends du groupe les premiers résultats positifs dans les trois ans.

Rusal n'a pas abandonné ses plans de fusion avec Norilsk Nickel. Qu'en pensez-vous ?

Rusal a clairement indiqué que la fusion avec Norilsk Nickel n'est pas l'une de ses priorités présentes. Cette consolidation demeure cependant un objectif de Rusal à plus longue échéance. En perspective, l'union des deux groupes se justifie pleinement à tout point de vue. La Russie a besoin d'un « champion national ». Mais avant cela, l'impératif absolu de Rusal est une réduction sensible de la dette. Je ne détiens pas d'actions de Norilsk Nickel et je ne prévois pas d'en acheter. Toutefois, via Rusal, j'ai déjà une importante exposition à Norilsk Nickel.

Avez-vous souscrit à l'offre récente d'obligations convertibles de Glencore ?

Oui, j'en ai acheté pour environ 40 millions de dollars sur un placement de 2,2 milliards de dollars. C'est un groupe qui peut devenir à terme aussi important qu'un Rio Tinto ou un BHP Billiton.

Avez-vous d'autres intérêts dans les ressources naturelles ?

Je m'intéresse aux métaux précieux. J'intégrerai le conseil d'administration du leader mondial de l'or, le canadien Barrick Gold, lors de sa prochaine assemblée générale du 28 avril. Je suis membre du Bureau des conseillers internationaux depuis 2004. J'apprécie beaucoup son fondateur et président, Peter Munk, une figure de légende de cette industrie, et son nouveau directeur exécutif, Aaron Regent, que je considère être le meilleur dirigeant canadien du secteur minier. Sous leur houlette, Barrick Gold est une véritable machine à créer de la valeur. Enfin, je continue d'avoir des actions de Freeport McMoRan, le successeur de Phelps Dodge dont Atticus avait été un temps son principal actionnaire. Freeport a le potentiel pour doubler le prix de son action dans les deux ans à venir.

Quels sont vos paris hors matières premières ?

Avec RIT, j'ai pris 11 % du capital de BR Properties, un groupe immobilier brésilien formé en 2006 qui prévoit de se coter en Bourse dans le courant du premier trimestre de cette année. Je détiens 26,5 % de Volex Group Plc, un spécialiste de la fibre optique coté à Londres. Son action a pris 428 % en un an. J'ai acquis cette participation en mars 2009. J'ai vendu mes intérêts dans Trigranit, le principal promoteur d'Europe centrale en 2009. Mais je détiens encore une paire de projets dans l'immobilier en Ukraine et en Roumanie, ainsi qu'un projet de construction d'une marina de luxe au Monténégro dont le Groupe Arnault est également actionnaire.

PROPOS RECUEILLIS PAR MASSIMO PRANDI ET FRANÇOIS VIDAL

Encadré(s) : Son parcours

Nathaniel Rothschild approche la quarantaine. Né d'une mère canadienne, il a parachevé sa formation à Oxford, dans le très prestigieux Wadham College. Il vit à Klosters, en Suisse, mais investit à l'échelle mondiale. D'allure juvénile, l'héritier de la branche anglaise de la famille Rothschild n'en est pas moins un protagoniste chevronné de la finance et de l'industrie mondiales. Il a été coprésident d' Atticus Capital, une société globale de gestion activiste dont il détenait la moitié des parts. Après avoir jeté son dévolu sur Groupe André en 2000, ce fonds s'est notamment rendu célèbre en entrant au capital de Deutsche Börse.Son actualitéCoprésident d'Attara Capital, le successeur d'Atticus European Fund, il détient aussi en direct 2,7 % de RIT Capital Partners, une société de portefeuille cotée à Londres, qui pèse 2,6 milliards de dollars d'actifs. Son père, lord Jacob Rothschild, en est le président et sa famille en détient au total près de 25 %. Nathaniel Rothschild possède en outre sa structure 'investissement, NR Investments. Il détient aussi une firme régulée de conseil, JNR, qui a été sélectionnée par Rusal pour l'assister dans son introduction en Bourse. Une opération à laquelle il a aussi contribué en tant qu'investisseur.

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