Une étude historique et sociologique sur l'envers de l'essor chinois.
IL EST parfois des petits livres qui s'avèrent bien utiles. Rédigée pour une collection généralement destinée aux étudiants, cette histoire de la société chinoise de 1949 à nos jours est une agréable surprise. Loin des aimables niaiseries sur la philosophie orientale, et des banalités sur « l'autre pôle de l'expérience humaine », cette roborative étude historique et sociologique a le mérite de rappeler en quelques pages bien documentées le revers du succès chinois. Comment, en une « décennie glorieuse », est-on passé d'une dictature communiste à une dictature capitaliste ? La transition ne s'est pas faite sans mal.
L'auteur, sociologue et spécialiste de la Chine, n'y va pas par quatre chemins : loin du discours habituel sur l'essor chinois, l'ascension spectaculaire du pays dans le peloton de tête des nations industrielles, Tania Angeloff démontre que cette réalité a son revers : la misère grandit en Chine ; le fossé se creuse entre les riches et les pauvres.
Au fond, comme en Occident. Cette lecture est à conseiller notamment à tous ceux qui culpabilisent en ayant peur d'être accusés d'« enfants gâtés » parce qu'ils auraient l'audace de critiquer la mondialisation (« alors qu'elle a permis l'enrichissement de tant de Chinois »).
Las, nous dit Angeloff, la mondialisation n'a pas autant enrichi de Chinois qu'on le prétend. Chiffres à l'appui (même s'il faut être prudent avec les statistiques chinoises qui, nous dit-elle, font souvent défaut), elle montre que ce développement économique s'est réalisé depuis trente ans en l'absence de tout processus politique de démocratisation. Ce qui pose toute une série de questions sur les liens entre la liberté et le capitalisme (mais le débat est déjà posé depuis l'expérience ultralibérale de Pinochet). Mais il y a mieux : en Chine, cet essor économique est loin d'avoir profité à tous. Si on suit l'auteur, c'est à peine 4 % des Chinois qui auraient vraiment tiré des avantages de la modernisation économique.
Histoire de la société chinoise : 1949-2009
Histoire de la société chinoise : 1949-2009
Troubles sociaux
Mais alors l'augmentation du niveau de vie, les banlieues pavillonnaires qui s'étendent à perte de vue à la sortie de Pékin ?
Une goutte d'eau d'illusion dans un pays qui compte plus d'un milliard d'habitants. Dans leur très large majorité, les Chinois sont aussi victimes de cette expérience d'ouverture économique qui n'a cessé d'aggraver les inégalités. L'accroissement des troubles sociaux en témoigne.
Certes, si on compare avec l'époque terrifiante de la Révolution culturelle - où les dirigeants s'en prenaient aux « quatre vieilleries » (idées, culture, coutumes, habitudes) et où même l'amour (aujourd'hui vanté avec raffinement par Alain Badiou) était alors considéré comme une « valeur bourgeoise » - le bilan est évidemment moins désastreux.
Mais il est loin d'être aussi glorieux que certains économistes ne le prétendent en Occident. La désagrégation de l'État social, après Deng Xiaoping (1994), a fragilisé les faibles classes moyennes.
Pour beaucoup, le système de l'emploi à vie (« le bol de riz en fer ») s'est transformé en nécessité de travailler « jusqu'à la mort ». Triste réussite pour une « dictature prolétarienne du peuple » (comme se définit encore la Chine).
Jacques de Saint Victor
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