lundi 8 mars 2010

Pékin dose sa stratégie sur le dossier nucléaire iranien - Bruno Philip

Le Monde
International, mardi, 9 mars 2010, p. 7

De quel côté la Chine penchera-t-elle, à l'ONU, à propos du nucléaire iranien ? L'administration Obama a durci sa position après une année de " main tendue " en direction de Téhéran. Les Etats-Unis ont commencé à diffuser un projet de résolution comportant de nouvelles sanctions contre la République islamique. Les dernières remontent à mars 2008.

La Chine entrave ce projet. La République populaire est le seul pays membre permanent du Conseil de sécurité à refuser le principe de nouvelles mesures coercitives. " Les pressions et les sanctions ne peuvent pas fondamentalement régler cette question ", a répété, dimanche 7 mars, son ministre des affaires étrangères, Yang Jiechi.

Mais d'autres signaux sont aussi envoyés, pouvant annoncer une certaine flexibilité. Après la récente visite à Pékin du secrétaire d'Etat adjoint américain, James Steinberg, la Chine a réitéré son souhait de voir la question iranienne résolue par voie diplomatique, tout en demandant à Téhéran de renforcer sa coopération avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) afin de " lever les doutes " à propos de son programme nucléaire. Le dernier rapport de l'AIEA sur l'Iran émet l'hypothèse que ce pays poursuit à ce jour des travaux de mise au point d'un ogive nucléaire.

La stratégie chinoise a plusieurs composantes : retarder au maximum l'imposition de sanctions tout en se prononçant, le cas échéant, en faveur de ces dernières afin d'éviter l'isolement diplomatique, et cela après avoir oeuvré pour en atténuer la portée.

Dans ce contexte, un vote rapide à l'ONU paraît exclu. La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton a dit l'espérer " au cours des prochains mois ". Le calendrier pourrait glisser au-delà de la conférence d'examen du traité de non-prolifération (TNP) prévue en mai.

Au blocage chinois s'ajoutent les réticences du Brésil, un pays que Mme Clinton, qui était la semaine dernière à Brasilia, n'a pas réussi à rallier à l'idée de sanctions. L'attitude chinoise agit, selon certains, comme un encouragement aux pays les moins disposés à durcir le ton contre Téhéran.

Sur le dossier iranien, la Chine navigue au plus près d'intérêts parfois contradictoires. Il lui faut prendre en compte simultanément l'importance de sa relation avec le régime des mollahs, pièce centrale de sa pénétration sur l'échiquier moyen-oriental, et la primauté de son dialogue avec les Etats-Unis. Une relation qui vient de traverser des secousses à propos de Taïwan et de la rencontre entre Barack Obama et le dalaï-lama.

La Chine est traditionnellement opposée à l'imposition de sanctions et privilégie une politique de " non-interférence ". Elle défend le principe de la non-prolifération nucléaire mais soutient, dans le cas iranien, que rien ne prouve une volonté de se doter de la bombe atomique, ni la capacité d'y parvenir à court terme. Ainsi le problème ne justifie pas, à ses yeux, une telle mobilisation internationale.

Pour autant, les diplomates occidentaux estiment que Pékin, qui s'est déjà associé à trois reprises à une série de sanctions limitées contre Téhéran, entre 2006 et 2008, n'usera pas de son droit de veto pour bloquer une résolution, surtout depuis que la Russie se dit prête à s'associer à un tel texte. La Chine pourrait s'abstenir. Elle doit aussi trouver le langage diplomatique adéquat, au vu de l'importance de sa relation avec l'allié iranien.

L'Iran est le troisième fournisseur de pétrole de la Chine, après l'Arabie saoudite et l'Angola. Les compagnies pétrolières chinoises ont investi 120 milliards de dollars en Iran depuis cinq ans. En 2009, les deux pays ont signé deux importants contrats pour développer deux champs pétrolifères en Iran, l'un à Pars, l'autre à Azadegan. Et parce que l'Iran ne possède pas de capacités suffisantes de raffinage, les Chinois lui fourniraient, selon le Financial Times, entre 30 000 et 40 000 barils de pétrole raffiné par jour. La Chine a profité ces dernières années de l'effacement de compagnies occidentales empêchées de traiter avec l'Iran du fait des sanctions et des pressions américaines.

La proximité géographique et culturelle de l'Iran avec la province chinoise du Xinjiang, région tiraillée par les velléités " séparatistes " de sa population musulmane ouïgoure, pousse en outre Pékin à s'assurer des bonnes grâces de Téhéran.

" La poursuite de la voie diplomatique retarde des actions punitives et permet à Pékin de valoriser au maximum ses capacités de marchandage en direction et de l'Iran et des pays de l'Ouest ", note le centre d'analyse Crisis Group, dans un récent rapport, très détaillé, sur le jeu chinois face au nucléaire iranien. Des officiels ont ainsi indiqué que la poursuite de ventes d'armes américaines à Taïwan nuirait à la coopération chinoise " sur d'importants dossiers internationaux ".

Cependant, nuance la sinologue britannique Sarah Raine, " une résolution modérée du Conseil de sécurité permettrait à la Chine de sauver la face vis-à-vis des Etats-Unis et de l'Europe, ses principaux partenaires commerciaux. Mais il est primordial, du point de vue chinois, que ces sanctions aient un impact minimal sur ses intérêts ".

C'est la raison pour laquelle les Etats-Unis ont incité l'Arabie saoudite à garantir un accroissement de ses livraisons de pétrole à la Chine pour compenser éventuellement celles de l'Iran. Pékin n'aurait rien à gagner en cas de course aux armements ou d'instabilité dans la région du Golfe, évolutions jugées inévitables si un coup d'arrêt n'est pas mis aux activités iraniennes.

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