mardi 23 février 2010

Le marché se prépare à une appréciation du yuan - Isabelle Couet

Les Echos, no. 20621 - Marchés, mardi, 23 février 2010, p. 29

La spéculation sur une réévaluation du yuan s'intensifie. Un retour à un régime de change plus flexible pourrait se faire dans les prochains mois. Une hausse de la devise chinoise permettrait de contenir l'inflation.

Officiellement, la Chine défend toujours la stabilité de sa devise. Pourtant, une réévaluation du yuan dans les prochains mois semble de plus en probable. Sur le marché des changes, après déjà plusieurs jours de fluctuations assez fortes, celui-ci a grimpé de 0,1 % hier, sa plus forte hausse depuis un peu plus d'un an. Le yuan se traitait à 6,8264 contre le dollar lundi.

Les signaux d'un futur assouplissement du régime de change chinois se multiplient. Le resserrement des conditions de crédit initié cette année a envoyé un message fort en ce sens, d'après les spécialistes. Le pays qui pourrait enregistrer une croissance économique supérieure à 10 % cette année, commence en effet à s'inquiéter des pressions inflationnistes.

Or la Chine, du fait de l'arrimage de sa devise à un panier de monnaies, dans lequel le billet vert est dominant - le yuan doit fluctuer dans un couloir de 0,5 % au-dessus ou en dessous du taux de change central fixé par les autorités -, importe en quelque sorte à la politique de taux américaine. La présidente de la Fed de San Francisco faisait remarquer dans une récente étude que la politique monétaire des Etats-Unis, où le loyer de l'argent est à 0 %, « risquait d'être excessivement stimulante » pour la Chine. Elle en déduisait que le géant d'Asie devrait modifier sa politique de changes pour échapper à la menace de surchauffe et d'inflation. Par ailleurs, l'amélioration des exportations rend moins nécessaire de stabiliser le yuan pour maintenir sa compétitivité, comme le fait Pékin depuis juillet 2008.

« Surprendre le marché »

« Le récent mouvement de resserrement des conditions monétaires plaide pour une réévaluation du yuan dès le deuxième trimestre », estime Richard Yetsenga, chez HSBC en Asie. Stephen Jen, ancien de Morgan Stanley, désormais chez BlueGold Capital Management, pense que la Chine peut désormais agir en mars ou en avril. « Elle va certainement chercher à surprendre le marché en réintroduisant une certaine flexibilité plus tôt que l'on ne croit », assure-t-il. Le spécialiste des changes se souvient que Pékin avait déjà procédé de la sorte en 2005, en laissant le yuan s'apprécier à partir de juillet, alors que le Trésor américain annonçait qu'un geste était probable en août.

Selon Stephen Jen, les autorités chinoises pourraient d'abord réévaluer leur monnaie de 5 % et adopter un système de changes comme celui de Singapour, en indexant le yuan à un panier de devises, avec une marge de fluctuation de 10 %, voire 15 %. « La Chine a plutôt intérêt à réévaluer assez fortement le yuan en une seule fois, en le laissant grimper de 5-10 %, pour éviter que l'on ne croie à un mouvement graduel, prévisible, qui inciterait les capitaux spéculatifs à entrer dans le pays », affirme David Deddouche, chez Société Générale.

L'afflux de fonds investis à très court terme (« hot money ») est en effet l'une des principales menaces en cas de retour à un régime de change plus flexible. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le stratège de BlueGold considère que le rebond du dollar offre une opportunité aux Chinois : s'ils laissent maintenant leur devise s'apprécier, ils minimisent le mouvement entre dollar et yuan et donc découragent les capitaux spéculatifs. L'indexation à un panier de monnaies, dont la composition n'est pas publiée, donc inconnue des spéculateurs, permet aussi, selon certains spécialistes, de limiter l'afflux de « hot money ».

Une appréciation de la devise chinoise aurait des conséquences sur toute la région. Les monnaies du Sud-Est asiatique devraient s'apprécier aussi. Pour cause, les économies voisines de la Chine seront libérées du risque de perte de compétitivité par rapport à leur principal partenaire. En outre, comme ces pays font face à un risque inflationniste, une hausse de leur change peut les soulager.

L'impact sur le dollar et l'euro est difficile à prédire. Pour David Deddouche, cela devrait être favorable au billet vert et négatif pour la monnaie unique. Le raisonnement est le suivant : la réévaluation du yuan devrait limiter l'accumulation des réserves de change et donc le mouvement de diversification déjà observé, du dollar vers l'euro. « Plus généralement, une source de liquidité mondiale pourrait ainsi se tarir et dégonfler le prix des actifs comme les matières premières », avance le stratège.

ISABELLE COUET

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