Crisis, what crisis " ? Le titre d'un des albums de Supertramp va comme un gant à la Chine. Avec une croissance proche de 10 %, le dragon asiatique semble en effet défier la crise planétaire. Malgré un affaissement du volume des transactions entre octobre 2008 et juin 2009, la récession mondiale a peu déteint sur le marché de l'art local.
" Suite au gigantesque plan de relance chinois, il y a énormément de liquidités dans le marché et dans le domaine de l'art. On voit que les Chinois rachètent tout leur patrimoine, à n'importe quel prix ", précise le spécialiste Jean-Marc Decrop. En novembre 2009, chez Poly à Pékin, un collectionneur de Shanghaï a déboursé 24,7 millions de dollars (17,7 millions d'euros) pour un rouleau peint par Wu Bin, un artiste de la période Ming (1368-1644). L'estimation pour la pièce n'était que de 4 millions de dollars...
La force de frappe des collectionneurs chinois traditionnels, couplée à l'apparition de nouveaux acheteurs, a fait progresser les prix de la porcelaine et du jade. " Des objets qui valaient 10 000 euros se négocient à 50 000 euros maintenant ", remarque Christian Bouvet, spécialiste chez Sotheby's.
Alors que les maisons de ventes aux enchères occidentales accusent des baisses de 40 % de leurs chiffres d'affaires, leurs deux homologues chinois, Poly et Guardian, ont totalisé 340 millions de dollars en 2009, soit une progression de plus de 30 %. L'empire du Milieu est un marché d'avenir. Les achats effectués chez Christie's par les Chinois continentaux ou de Hongkong avoisinaient les 295 millions de dollars en 2009.
Fine mouche, la maison de ventes a envoyé à Hongkong François Curiel, l'un des artisans de l'ouverture du marché français. Son but ? Conduire les Chinois sur de nouveaux terrains de jeu. Car ces derniers ne s'en tiennent pas qu'à leur patrimoine. Ils sont devenus des enchérisseurs avides dans d'autres domaines. En bijoux, ils sont prêts à miser haut. En décembre 2009, chez Christie's, à Hongkong, un acheteur chinois est allé jusqu'à payer 10 millions de dollars pour un diamant rose de cinq carats, qui peut s'acheter à 350 000 dollars.
Pour atteindre des sommes aussi folles, il faut au moins deux compétiteurs. Justement le sous-enchérisseur était... chinois. Le magnat de l'immobilier de Hongkong, Joseph Lau, qui avait défrayé la chronique en 2007 en achetant une toile de Paul Gauguin (1848-1903), Te PoiPoi, (PHOTO) pour 39,2 millions de dollars, a récidivé en mai 2009 en déboursant 9,4 millions de dollars pour un diamant bleu. Il l'a aussitôt rebaptisé " étoile de Joséphine ".
En novembre 2009, chez Sotheby's, un autre acheteur de Chine continentale a payé 962 500 dollars pour une Nature morte aux pommes, d'Auguste Renoir (1841-1919), issue de la collection Durand-Ruel.
" On rencontre tous les jours de nouveaux collectionneurs chinois dans le mobilier XVIIIe, dans l'Art déco ou l'art moderne. Ils ne s'intéressent qu'au haut de gamme, à des lots supérieurs à 100 000 dollars. Ils se sont rendu compte que devenir riche est une chose, mais que pour être pris au sérieux par les grands de ce monde, l'achat d'art faisait partie de la réussite. N'oublions pas qu'ils ont déjà une tradition culturelle forte ", indique M. Curiel. La galeriste parisienne Magda Danysz, qui a ouvert en 2009 une antenne à Shanghaï, dresse un bilan plutôt encourageant. " Le public chinois est au rendez-vous pour les pièces grandes, en taille et en montant. Mais, il faut faire énormément d'efforts pour les convaincre, bosser dur, faire tout le temps des propositions ", constate-t-elle.
Néanmoins tout n'est pas rose. L'un des galeristes les plus puissants de Pékin, Xin Dong Cheng, confie avoir perdu 50 % de son chiffre d'affaires. Près de la moitié des galeries du quartier baptisé 798 à Pékin ont fermé. Celles-ci étaient pour la plupart touristiques et s'adressaient surtout aux acheteurs étrangers. Beaucoup d'enseignes commencent d'ailleurs à délaisser ce périmètre, envahi par la mode et les gadgets, pour celui, voisin, de Caochangdi. Surtout, les prix de l'art contemporain chinois ont été réajustés après une période d'excès. " Il y a eu une réévaluation, avec une différence entre les oeuvres inspirées antérieures à 2000-2002, qui commandent des prix phénoménaux, et les multiples remakes réalisés de manière répétitive, qui ne se vendent pas, ou mal. Les acheteurs ne s'y trompent pas ", explique M. Decrop.
De fait, en novembre 2009, un tableau de Zeng Fanzhi de la série sur l'hôpital et daté de 1994 s'est adjugé pour 2,4 millions de dollars chez Christie's. Un prix supérieur, sinon égal, aux tarifs de cette série voilà deux ans. Les peintres qui s'étaient enrichis ces dernières années en surproduisant sont tombés de leurs nuages. Un dégrisement des plus salutaires. " A un moment, les artistes ne parlaient plus d'art mais de leur dernière voiture. Ils étaient tout le temps pressés par la réussite. Heureusement que l'envolée n'a duré que trois ans. Si elle avait duré davantage, une génération d'artistes aurait été gâchée ", conclut Xin Dong Cheng.
Roxana Azimi
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