L'année du Tigre a commencé le 14 février. Elle promet d'être, au niveau mondial, l'année de la Chine. Car soixante et un ans après la fondation de la République populaire, 2010 s'annonce comme l'année de tous les superlatifs pour un pays qui est déjà le premier exportateur de la planète, son premier marché automobile, et probablement déjà, la deuxième économie mondiale par son produit intérieur brut (PIB). La Chine, qui s'apprête à célébrer avec fastes l'Exposition universelle de Shanghaï (du 1er mai au 31 octobre), devrait aussi avoir, en 2010, un taux de croissance de l'ordre de 10 %, à comparer avec les 3,9 % attendus par le Fonds monétaire international (FMI) pour le monde entier.
Les esprits chagrins ne manquent pas de souligner les déséquilibres que suscite cette « monstrueuse » croissance : la fragilité de l'appareil bancaire local miné par ses créances douteuses, la bulle immobilière, la montée des inégalités, la dépendance à l'importation de matières premières... Mais sur ce dernier point, l'apparente faiblesse chinoise est devenue une force !
La Chine est le premier importateur mondial de toutes les matières premières, à la seule exception des céréales et des produits tropicaux. Du minerai de fer aux métaux non ferreux, du soja au caoutchouc, ses importations ont connu une progression sans précédent en 2009. Au-delà même des stricts besoins industriels puisqu'on a assisté à la constitution de stocks publics et privés, souvent motivée par des raisons spéculatives ou au moins par la recherche d'une couverture par rapport au dollar. Déjà largement importateur de pétrole et de gaz, le pays l'est devenu aussi de charbon-vapeur.
La position de la Chine est telle sur les marchés mondiaux que l'on peut penser qu'en tant qu'importateur solvable de dernier recours, elle détient in fine l'« arme des matières premières ». Elle peut la déployer, avec toute sa puissance d'achat, au bénéfice de sa diplomatie : en 2009, elle a pu offrir 60 milliards de dollars (44 milliards d'euros) de « crédits contre pétrole et gaz » pour ramener dans sa mouvance le Kazakhstan et le Turkménistan, amadouer le Brésil, secourir la Russie, « annexant » même l'Australie à sa politique en signant un contrat de livraison de charbon de 60 milliards de dollars sur vingt ans. En Afrique, elle avance en terrain quasiment conquis de la Zambie au Soudan ou au Congo.
Il n'est jusqu'aux Etats-Unis qui puissent en souffrir. Dans le conflit qui oppose Pékin à Google, ou lors de l'annonce de contrats militaires américains à Taïwan, on a ainsi évoqué l'utilisation de l'« arme du soja » : sans même annuler les contrats en cours, la Chine pourrait reporter vers l'Amérique latine ses achats (4 à 5 millions de tonnes mensuels) - cette partie du monde dispose cette année de disponibilités abondantes. Or les intérêts des farmers américains pèsent lourd dans l'équation politique bien compliquée de Barack Obama...
La clef de la conjoncture des marchés, en 2010 et au-delà, se trouve bien en Chine. Mais toute prévision est rendue difficile par le comportement de Pékin, difficile à décrypter de façon rationnelle. Il est ainsi manifeste que les importations dépassent depuis des mois les besoins estimés. Est-ce pure spéculation, ou bien s'agit-il d'achats de précaution à quelques mois de l'Exposition universelle, comme cela avait été le cas en 2008 avant les Jeux olympiques ? La Chine se retirera-t-elle alors des marchés durant l'été, comme elle l'avait fait à partir d'août 2008, provoquant un repli général des cours ? Quoi qu'il en soit, la patte du Tigre sera omniprésente en 2010 sur les marchés mondiaux.
Philippe Chalmin, université Paris-Dauphine
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