jeudi 11 février 2010

Sarah Palin, sexe et antisèche - Lorraine Maillot

Libération, no. 8942 - Grand Angle, jeudi, 11 février 2010, p. 30

A coup de séduction calculée et de coaching serré sur les questions politiques, l'ex-candidate républicaine maintient le cap sur la Maison Blanche et récolte des millions de dollars. Sans pour autant parvenir à éviter les couacs.

Ce soir-là, devant les militants du mouvement populiste des Tea Party rassemblés en convention nationale, Sarah Palin apparaît avec un tailleur noir, comme si c'était un dîner des plus officiels. Et juste un collier de perles pour fermer son décolleté, comme si elle était nue sous sa veste. Sexy mais sérieuse. Star et femme politique. C'était samedi, à Nashville. La veille, le 5 février, elle portait un ensemble fuchsia, rehaussé d'un coeur jaune sur la poitrine pour un discours devant une chambre de commerce du Kansas. Ce ne sont pas des détails. Avec Sarah Palin, les Américains ont à faire à une femme qui joue ouvertement de son sex-appeal pour faire son chemin. Du jamais vu à ce niveau politique. Et ça marche : elle a déjà réussi à distiller l'idée qu'elle pourrait être candidate à la présidence des Etats-Unis en 2012. Et de tous les candidats républicains possibles, elle est celle dont on parle le plus.

Sarah Palin est une belle femme donc : 46 ans aujourd'hui, le corps sculpté par les joggings et même les marathons. «Elle est de loin la plus jolie femme jamais montée si haut dans la politique nationale.La première femelle incontestablement fertile à oser danser avec les molosses», a lancé Todd S. Purdum dans Vanity Fair, si emballé par le personnage qu'il en frôle le sexisme.

«Une parfaite idiote»

A l'issue de la campagne présidentielle 2008, quand John McCain en avait fait sa candidate à la vice-présidence, on était resté sur cette image : une jolie femme, mais gourde. Elle n'était pas même capable de dire quels journaux elle lisait, se demandait pourquoi il existe une Corée du Nord et une Corée du Sud (selon l'ancien stratège de la campagne McCain, Steve Schmidt, qui l'a bien descendue) et elle-même avouait que son expérience de politique étrangère se basait sur le fait de... pouvoir apercevoir la Russie depuis l'Alaska.

Mais Sarah Palin est une ambitieuse qui a beaucoup investi ces derniers temps pour donner un peu de substance à son personnage. Depuis qu'elle a démissionné en juillet de son poste de gouverneur de l'Alaska, elle s'est entourée d'un cercle de conseillers qui la briefent quotidiennement sur les sujets d'actualité nationale et internationale, par e-mail ou par téléphone. Sur sa page Facebook, qui compte presque 1,3 million d'«amis», elle commente l'actualité (avec l'aide de ses conseillers) et ne recule devant aucun sujet grave : le budget présenté par Barack Obama («immoral»), la réforme de la santé (elle a donné le ton des attaques conservatrices, en lançant que le projet démocrate créerait des «tribunaux de la mort»), le réchauffement climatique (elle en doute) ou l'Afghanistan (elle salue l'envoi de renforts, mais accuse Obama d'avoir annoncé le début de retrait).

Ce samedi, à la convention des Tea Party, face à un public qui ne rêve que d'en finir avec les impôts et les «politicards», Sarah Palin a entamé son discours en abordant des sujets moins attendus : la «sécurité nationale» Et la politique étrangère. «Notre Président a passé une année à tendre la main à des régimes hostiles. Et à s'excuser pour l'Amérique», attaque-t-elle. La Corée du Nord lui a répondu par des tirs de missiles, «les relations avec la Chine et la Russie ne se sont pas améliorées», celles avec le Japon «sont pires que jamais» poursuit-elle. De la part d'une novice, ces leçons de géopolitique sonnent faux. Mais son public adore : «Le sénateur Obama avait encore moins d'expérience qu'elle quand il a été élu Président», assure Samantha Moses, une jeune femme venue exprès de Californie pour voir son héroïne Live.

«Les médias en ont fait une parfaite idiote, mais c'est une erreur de la sous-estimer ainsi», corrige Matthew Continetti, qui a consacré un livre à sa défense, La Persécution de Sarah Palin : Comment les médias de l'élite ont essayé d'abattre une star montante. «Je pense que c'est une personnalité politique éblouissante, un pur talent, explique ce journaliste du Weekly Standard, Magazine néoconservateur. Quand on arrive à polariser à ce point en politique, c'est qu'on a vraiment de l'influence. Elle a montré qu'elle peut attirer les foules et collecter des millions de dollars. Elle a tous les attributs pour une carrière nationale à grand succès. Et je pense qu'elle a bien l'intention de se présenter à l'élection présidentielle.» Très bien placée dans le hit-parade de l'argent récolté - baromètre essentiel de la politique américaine -, Sarah Palin se positionne, de fait, aussi dans le peloton de tête des possibles prétendants à l'investiture républicaine pour 2012. Elle a récolté 2,1 millions de dollars en 2009, ce qui la classe deuxième après Mitt Romney (2,9 millions), devant Tim Pawlenty (1,3 million) ou Mike Huckabee (824 000 dollars)...

L'épisode de Nashville, où Sarah Palin jouait en terrain conquis, s'est pourtant achevé sur un nouveau couac : les journalistes, ses inlassables persécuteurs, ont découvert qu'elle s'était griffonnée une antisèche sur la main pour se souvenir de ses priorités. La vidéo, dont se délectent les internautes sur YouTube depuis trois jours, le montre bien : quand le présentateur lui demande ce qu'elle ferait en tout premier si elle avait le pouvoir à Washington, Sarah balbutie et agite nerveusement sa main gauche... jusqu'à ce qu'elle réussisse à lire son pense-bête : «Energie, réduction d'impôts et remonter le moral des Américains» avait-elle écrit au creux de sa main.

Mais pour ses fans, même ces faiblesses évidentes ont leur charme. «Ce que j'aime chez elle, c'est qu'elle est une des nôtres, explique Samantha Moses, sa fan de Californie. Elle ne parle pas en nous regardant de haut, c'est une femme comme nous, qui dirige son foyer, qui fait tout elle-même. Elle nous a parlé ce soir comme si elle était assise à table avec nous ». «Elle a cinq enfants, un mariage qui tient encore, une carrière dans les affaires et la politique... Une femme qui réussit tout cela est une femme forte, admire aussi Alice Aranjo, venue du Texas jusqu'à Nashville pour l'applaudir. J'ai écouté son livre [enregistré en version audio, ndlr], et ça m'a donné le courage de m'engager moi aussi en politique, je vais me présenter à une élection locale.»

Une Vénus, mère exemplaire

Ce qui rend Sarah Palin si attractive est aussi ce qui avait fait le succès de George W.Bush, décrypte Sue Katz, auteur d'un «guide» de Sarah Palin pour l'électeur : «Avec elle, les choses sont toujours simples : c'est vrai ou faux, blanc ou noir, ami ou ennemi. Elle est le parfait opposé d'un Barack Obama qui, à force de vouloir appréhender les problèmes dans toute leur complexité, peut se retrouver paralysé. Elle n'attendra pas de lire l'encyclopédie avant deRépondre à une quesTion. Elle rend les choses faciles. Mais ses positions tranchées sont liées aussi à ses liens religieux très forts.» Baptisée catholique, Sarah Palin a été très marquée par une congrégation pentecôtiste, l'Assemblée de Dieu, qu'elle a fréquenté depuis son enfance. Au sein de l'église elle a manifesté ses premières aspirations au «leadership», raconte son ancien pasteur, Paul Riley : elle encourageait les autres enfants à «réaliser la volonté de Dieu». Son énergie et son goût de la compétition la distinguaient aussi sur les terrains de basket... Cela lui a valu le surnom de «barracuda», a rapporté une ancienne camarade d'école. Ces dernières années, Sarah Palin a pris ses distances avec le mouvement pentecôtiste. Elle se définit comme «chrétienne» sans affectation à un courant particulier. Mais elle fait encore grand usage de Dieu, dès qu'une question la dépasse. Lorsqu'elle était gouverneur de l'Alaska, elle avait appelé à prier pour la construction d'un gazoduc. Elle avait aussi suggéré que son succès à la tête de cet Etat pourrait être entravé «si le coeur des habitants de l'Alaska n'était pas en règle avec Dieu».

En juillet dernier, Sarah Palin a démissionné du poste de gouverneur, arguant que les plaintes pour «manquement à l'éthique» lancées par ses adversaires l'empêchaient de travailler. En fait, cette démission lui a surtout permis de se concentrer sur ses nouvelles ambitions nationales. Elle a publié un best-seller, Going Rogue, qu'on pourrait traduire par «Je me rebelle», et qui lui a servi de prétexte à une vraie tournée de star à travers le pays. Comme l'a fait Barack Obama à ses débuts sur la scène nationale, elle use de l'autobiographie pour se forger un mythe. Elle se décrit en nouvelle Diane, une vraie femme de fort tempérament, qui chasse et se nourrit de viande. Mais aussi en Vénus, mère exemplaire qui a donné naissance à cinq enfants, dont même un bébé trisomique, tout en poursuivant une brillante carrière politique. Elle semble presque fière de s'être brouillée avec nombre des conseillers de la campagne de McCain en 2008 qui l'ont - involontairement - aidée à créer ce nouveau personnage de «rebelle».

Commentatrice sur Fox News

Evidemment, tout cela est très enjolivé. L'ancien fiancé de sa fille, Levi Johnston, chassé du foyer Palin après avoir conçu un bébé hors mariage - le premier petit-fils de Sarah Palin -, s'est vengé dans une série d'interviews, racontant que les enfants de cette mère modèle étaient en fait abandonnés à eux-mêmes. La fameuse Diane ne saurait même pas se servir d'un fusil et n'est même pas spécialement amatrice de viande, a dégainé le jeune Levi. Il l'aurait aussi entendu dire qu'elle voulait démissionner de son poste de gouverneur et écrire son livre pour «faire de l'argent ».

Cette explication semble probable aux yeux de Sue Katz, une des «biographes» de Sarah Palin. «Je ne suis pas sûre qu'elle veuille être candidate à la présidence. Je ne crois pas qu'elle soit si travailleuse ni qu'elle veuille encore s'imposer le regard inquisiteur et souvent humiliant des médias [son premier métier, et son grand rêve, était celui de journaliste sportive à la télévision, ndlr]. Ce qui est clair c'est qu'elle aime les caméras, dit Sue Katz. Mais je l'imaginerais plutôt comme une sorte d'Oprah Winfrey de droite [la plus célèbre des animatrices américaines de talk-show, ndlr].»

En janvier, Sarah Palin a débuté une nouvelle carrière de commentatrice sur la chaîne conservatrice Fox News, où elle donne son point de vue sur l'actualité... et surtout sur elle-même. Pour être écoutée et bien rémunérée, la meilleure tactique est de laisser penser qu'elle ira très loin, jusqu'à la Maison Blanche peut-être. Sarah Palin est assez maline pour l'avoir compris.

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