mardi 9 février 2010

La Chine n'est pas seule responsable des déséquilibres économiques et monétaires

Les Echos, no. 20611 - Idées, mardi, 9 février 2010, p. 15

Le point de vue de STEPHEN S. ROACH

Une fois encore, le monde en difficulté s'en prend à la Chine. Au cours des derniers mois, les Etats-Unis ont imposé des sanctions commerciales sur les pneumatiques, les produits en papier couché, la tuyauterie et les armatures en acier chinois. L'Union européenne a fait de même pour plusieurs produits en acier, pour le gluconate de sodium et les galets de roulement en aluminium. Probablement encore plus révélateur, des appels réitérés ont été lancés partout dans le monde en faveur d'une réévaluation importante de la devise chinoise - accompagnés d'une menace de sanctions commerciales en cas de refus de la Chine.

Ces pressions ne sont pas exercées sans raison. Avec des taux de chômage de 10 % aux Etats-Unis comme en Europe, le monde en déséquilibre se sent asphyxié par l'excédent considérable du compte courant de la Chine et son solde commercial excédentaire. De 2006 à 2008, l'excédent du compte courant de la Chine représentait en moyenne 10 % de son PIB - contre 2 % de 2001 à 2003. Les tensions entre les Etats-Unis et la Chine seront sans nul doute compliquées par les élections législatives de mi-mandat en novembre, qui pourraient inciter les politiciens sinophobes à enfourcher leur cheval de bataille.

Toutefois, il n'est jamais judicieux de concentrer son attention sur le déséquilibre d'un seul pays. A chaque excédent correspond, ailleurs, un déficit. Les Etats-Unis occupent la première place du côté déficitaire de l'équation du déséquilibre mondial. Le déficit de leur compte courant a atteint le niveau record de 6 % du PIB en 2006 et une moyenne de 5 % sur la période 2001-2008. Dans ce contexte, il est difficile de critiquer la Chine en la présentant comme le seul obstacle dans le débat d'après-crise sur le rééquilibrage mondial. Aucun progrès ne pourra être réalisé si la Chine et les Etats-Unis ne procèdent pas tous deux à des ajustements.

En ce qui concerne l'Amérique, le pronostic n'est pas très encourageant de ce point de vue. Alors qu'elle connaît un déficit d'épargne nationale sans précédent, elle compte maintenant dans une large mesure sur l'excédent d'épargne des pays étrangers pour financer la croissance économique. Elle doit entretenir un déficit massif de son compte courant pour attirer ces capitaux. Malgré une récente réduction, de nature cyclique, des déficits du compte courant et de la balance commerciale des Etats-Unis, la tendance sous-jacente n'est guère encourageante. Alors que les déficits budgétaires dépassent les 1.000 milliards de dollars, il est difficile d'être optimiste quant à l'avenir des déséquilibres de l'épargne et du compte courant.

Parallèlement, il existe une bonne raison de croire que la Chine a saisi le message et s'apprête à prendre des mesures spectaculaires pour rééquilibrer son économie. La grande récession de 2008-2009 a constitué un choc terrible pour le modèle de croissance chinois basé sur les exportations. Reflétant une chute vertigineuse de la demande extérieure résultant d'une récession qui a touché au même moment l'ensemble des pays développés, le secteur chinois des exportations est passé rapidement de l'emballement à l'effondrement. Les comparaisons des exportations d'une année sur l'autre ont basculé de + 26 % en juillet 2008 à - 27 % en février 2009. Fin 2008, cette évolution a amené la croissance du PIB chinois (calculé sur une base trimestrielle) quasiment au point mort et s'est traduite par une perte d'emploi pour 20 millions de travailleurs migrants dans la province de Guangdong, dont l'économie repose sur les exportations.

Les décideurs chinois estiment qu'ils n'ont guère d'autre choix que de faire en sorte de générer la croissance du PIB à partir du marché intérieur et non plus des marchés étrangers. Le 12e plan quinquennal chinois, qui entrera en vigueur début 2011, contiendra probablement des initiatives majeures en faveur de la consommation - particulièrement en ce qui concerne la protection sociale, le soutien des revenus ruraux, ainsi qu'un plan de développement de vastes secteurs de services aux particuliers.

Dans ce cas, la Chine pourrait voir la part de son PIB générée par la consommation passer du niveau actuel, extrêmement faible, de 35 % à 45 % d'ici à 2016. La consommation chinoise jouant un rôle de plus en plus important dans la stimulation de l'ensemble de l'économie, l'excédent d'épargne va diminuer -ce qui pourrait entraîner une réduction de moitié de l'excédent du compte courant de la Chine au cours des cinq prochaines années.

Au final, c'est la volonté de la Chine de s'attaquer à la lourde tâche que constitue son propre rééquilibrage et de contribuer équitablement à la résolution des déséquilibres mondiaux qui devrait être le facteur le plus important aux yeux d'un monde en déséquilibre. Il appartient à la Chine de décider des moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir.

Il reste à savoir si elle peut progresser dans la voie du rééquilibrage grâce à des mesures en faveur de la consommation plus rapides et plus efficaces que la « solution » compliquée de la réévaluation monétaire prônée par l'Occident. La Chine aurait intérêt à tenir tête aux pressions exercées en faveur d'une réévaluation, car rien ne garantit que les ajustements monétaires donnent de bons résultats. En définitive, la modification des taux de change n'a pas permis de corriger les déséquilibres du Japon dans les années 1980, ni ceux des pays asiatiques en développement dans les années 1990, ni les déficits du compte courant aux Etats-Unis ces dernières années.

De plus, la Chine affirme depuis longtemps qu'elle considère la stabilité du yuan comme indispensable à la stabilité de son système financier embryonnaire. Il est difficile de réfuter cette logique, particulièrement si la Chine propose une alternative crédible pour réduire son excédent de compte courant. Naturellement, la Chine devra continuer de faire face aux conséquences de sa politique monétaire -notamment l'augmentation considérable et déstabilisante des réserves de devises étrangères due à l'afflux des capitaux étrangers. Mais là encore, tel est le choix de la Chine -un choix qu'elle s'est révélée très habile à gérer aux cours des dix dernières années.

Le rééquilibrage mondial est l'affaire de toutes les nations. Tenter de forcer la Chine à adopter une approche contre-productive en modifiant son taux de change serait pure folie -particulièrement dans la mesure où elle semble elle-même prendre très au sérieux son programme de rééquilibrage. Paradoxalement, il existe une bonne raison d'être plus optimiste en ce qui concerne la Chine qu'en ce qui concerne l'Amérique lorsqu'il s'agit d'évaluer les perspectives de rééquilibrage au cours des prochaines années. L'Occident, et plus précisément les Etats-Unis, doivent examiner leur situation sans concession et faire face à leurs propres déséquilibres. L'hypocrisie ne permet pas d'asseoir une prééminence politique mondiale.

STEPHEN S. ROACH EST PRÉSIDENT DE MORGAN STANLEY ASIA ET AUTEUR DE « THE NEXT ASIA », WILEY, 2009.

© 2010 Les Echos. Tous droits réservés.

Bookmark and Share

0 commentaires: