vendredi 26 mars 2010

ANALYSE - Un modèle économique et politique encore solide - Patrick Hébert

Le Monde - Dialogues, samedi, 27 mars 2010, p. 18

Forte du succès spectaculaire de son développement économique et de son intégration grandissante dans le monde actuel, la Chine, troisième puissance économique mondiale, s'affirme de plus en plus sur la scène internationale. Concernée par la majeure partie des grandes questions économiques, politiques et géopolitiques ou environnementales qui agitent la planète, la Chine, désormais, fait entendre sa voix sur chacune d'entre elles mais, plus encore, elle s'efforce d'imposer son point de vue comme si ce qui est bon pour la Chine devait être bon pour le monde...

Dans ces temps de crise qui font apparaître les défaillances du modèle économique occidental, nombreux sont ceux qui sont de plus en plus admiratifs de ce que l'on n'hésite plus à appeler, le " modèle " ou encore le " paradigme " chinois. Pourtant, beaucoup de signes peuvent amener l'observateur de la " chose chinoise " à s'interroger sur la pérennité de ce modèle.

Les dirigeants et autres représentants chinois aux divers sommets et conférences internationaux de ces deux dernières années ont cherché avant tout à protéger l'intérêt national de leur pays, à obtenir le plus d'avantages tout en concédant le minimum d'efforts et en acceptant le moins possible de contraintes et d'engagements. On l'a vu à Pittsburgh, lors du G20 de septembre 2009, à Copenhague ou à Davos. On le voit aussi avec la position inflexible de la Chine sur le dossier iranien ou sur celui de la réévaluation du yuan. Par ailleurs, les investissements chinois à l'étranger dans des entreprises productrices de matières premières ou possédant des technologies que la Chine ne maîtrise pas encore complètement et dans des gisements de ressources naturelles se multiplient. Ils provoquent de plus en plus de réactions hostiles de la part des populations ou des gouvernements des pays concernés.

La montée en puissance de la Chine en Asie et son poids économique, politique et commercial croissant attirent une méfiance accrue, voire un certain ressentiment de la part de plusieurs pays de la zone qui voient l'émergence d'une hégémonie déguisée. La Chine n'hésite pas à faire preuve d'arrogance, reproche qu'elle a souvent adressé à l'Amérique triomphante ou à l'Europe. La crédibilité du " soft power " ou de la montée en puissance " pacifique " de la Chine est fortement ébranlée.

Enfin, des contentieux de plus en plus nombreux frappent des entreprises et des groupes étrangers (le dernier en date concerne Google), qui se voient limités dans leur expansion sur le marché chinois, dès lors qu'ils menacent le développement d'un concurrent local à technologie comparable. Que sont devenus les propos sur l'accès à l'immense marché chinois et la recherche d'un " mutual benefit " (bénéfice réciproque), si souvent présentés aux investisseurs et négociateurs étrangers par leurs interlocuteurs chinois ?

Sur le plan intérieur, le contrôle de toute forme de dissidence ou d'opposition se renforce toujours plus, utilisant au besoin les dernières technologies de la communication et de l'information. Néanmoins, les mouvements de mécontentement et les affrontements violents avec les forces de l'ordre ou les milices paramilitaires se multiplient. Les raisons en sont variées; religieuses, environnementales, dues à des expropriations forcées, au racket de potentats locaux, à des déplacements sans juste compensation, à des épidémies de sida, etc. La corruption a tendance à se généraliser malgré les mesures prises pour la combattre. Les inégalités continuent de se creuser entre les villes et les campagnes, mais aussi, d'une manière générale, entre les riches et les pauvres. Où en est-on de la " société harmonieuse " ?

Les dissensions apparaissent plus nombreuses au sein du Parti ou de l'appareil d'Etat, où les avis sur la politique économique, les choix militaires ou les options diplomatiques, par exemple, sont loin d'être unanimes. Un écart de plus en plus important se crée entre le pouvoir central ou régional et une partie grandissante de la population toujours plus au contact de notre monde " globalisé ". Les enjeux, ils sont considérables; contrairement à l'idée répandue selon laquelle la Chine vise le long terme avant tout et " a le temps pour elle ", pour l'empire du Milieu le temps presse. Ainsi doit-elle, dès aujourd'hui, prévoir et sécuriser les matières premières nécessaires au fonctionnement de son économie et au maintien d'un niveau de croissance satisfaisant. Elle doit rassembler les ressources considérables qui lui permettront, entre autres objectifs majeurs, d'améliorer son régime de protection sociale et médicale, de pourvoir aux dépenses de retraite de sa population vieillissante et de surmonter les énormes défis environnementaux auxquels elle est confrontée.

Les dirigeants chinois doivent donc prendre rapidement des décisions stratégiques, en privilégiant l'intérêt national, en veillant à ce que ces décisions ne fassent pas l'objet de débats " trop " démocratiques susceptibles de les paralyser ou de les retarder, et sans négliger l'impact inévitable de la globalisation sur leur pays et leur population. Dans ces circonstances, l'on peut comprendre pourquoi ils montrent un peu de nervosité, une tendance au protectionnisme et des réflexes nationalistes parfois liés à un passé révolu. Ils sont placés devant le choix suivant : maintenir le modèle tel qu'il est et s'exposer au risque de le voir " exploser " ou mobiliser le plus rapidement possible tous les moyens nécessaires afin de faire évoluer ce modèle pour surmonter des difficultés. Choisir la seconde option serait faire preuve d'un nouvel esprit révolutionnaire...

Toutefois, peut-être est-il un peu hâtif de prédire aujourd'hui, " l'explosion " du modèle chinois. La Chine, contrairement à d'autres pays communistes, en est à la cinquième génération de leaders; le passage de relais entre cette génération et la précédente s'est effectué sans cataclysme. Par ailleurs, on sait à quel point le Parti communiste (PCC) a évolué au cours des dernières années, en acceptant des entrepreneurs en son sein, en envoyant ses cadres se former à l'étranger dans les plus prestigieuses écoles et universités étrangères, certaines, temples du capitalisme libéral, en tolérant, bon an mal an, un débat et l'expression d'opinions différentes parmi ses membres.

De plus, on peut se douter que les dirigeants chinois et leurs conseillers sont bien conscients des défis auxquels ils sont confrontés. En outre, on peut compter sur eux pour tordre le cou à la doxa communiste, faire évoluer le PCC vers des eaux encore plus surprenantes et justifier le tout par un discours dont les contradictions ne les gêneront pas plus que celles qu'ils affichent depuis l'invention géniale de " l'économie socialiste de marché aux caractéristiques chinoises "... Une révolution pourrait bien être déjà en gestation dans les multiples cellules du PCC et de l'appareil d'Etat, jusqu'à l'étranger. Il paraît difficilement concevable que le pouvoir en place ou celui qui lui succédera reste immobile...

Patrick Hébert

Membre d'Asie 21, groupe de réflexion prospective sur l'Asie

In this photo taken Friday, March 5, 2010, a Chinese tourist who wants to see a Chinese national flag raising ceremony on the Tiananmen Square before sunrise stands in front of the cordoned-off Great Hall of the People where the opening session of the National People's Congress will be held later in the morning in Beijing, China.

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