Est-ce la fin d'une saga inédite, celle de l'avocat chinois des droits de l'homme Gao Zhisheng ? On le savait arrêté, disparu mais on l'a cru tour à tour mort, évanoui corps et âme dans le brouillard de l'" archipel " chinois des organismes de répression, habitant sous surveillance à l'ouest du pays... Dimanche 28 mars, coup de théâtre : pour la première fois depuis son enlèvement par la police, durant la nuit du 4 février 2009, Me Gao a parlé au téléphone avec un collègue et ami avocat ainsi qu'avec un journaliste de l'agence britannique Reuters.
La bonne nouvelle ? Il est vivant et libre. La moins bonne est qu'il a dû raccrocher rapidement, faisant penser à ses interlocuteurs qu'il reste étroitement surveillé. " Je vais vivre une vie tranquille pour un moment ", a-t-il dit en précisant qu'il s'exprimait depuis Wutaishan, célèbre site bouddhiste de la province du Shanxi, au sud-ouest de Pékin. Il a précisé avoir été libéré il y a environ six mois.
Des Etats-Unis, où ils se sont réfugiés en 2009, son épouse Geng He a pu s'entretenir avec son mari en fin de semaine, écrit lundi le quotidien hongkongais The South China Morning Post.
Dans la mouvance de la dissidence chinoise, Gao Zhisheng est un peu un cas à part : chrétien et membre du Parti communiste, il fut, en 2001, distingué par le ministère de la justice comme l'un des dix meilleurs avocats de Chine pour avoir défendu le droit des paysans expropriés par des projets immobiliers.
Quatre ans plus tard, son sort bascule : il rend sa carte du parti pour protester contre les harcèlements dont il fait l'objet depuis qu'il s'est mis à défendre les disciples du mouvement spirituel bouddhiste interdit du Fa Lun Gong. En 2005, les autorités lui ferment son cabinet et suppriment leurs licences aux vingt avocats qui travaillent avec lui. L'année suivante, il est une première fois arrêté et condamné à trois ans de prison avec sursis pour " subversion ". Avant d'être placé en résidence surveillée durant de longs mois. Il racontera plus tard avoir été torturé durant les 54 jours qu'il passa en détention : chocs électriques sur les parties génitales, passage à tabac quotidien par ses gardiens.
Depuis des mois, informations parcellaires et contradictoires ne cessaient d'épaissir le mystère entourant la disparition de l'avocat. Mi-janvier, le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Ma Zhaoxu, déclare lors d'un point de presse que Me Gao " est là où il doit être ". Avant de se rétracter quelques jours plus tard en réponse à une nouvelle question sur le sort de l'avocat : " Il y a 1,3 milliard de Chinois, je ne peux pas savoir ce qu'ils font tous... "
" Avec des amis "
Le 14 février, nouvelle annonce surprise. L'ambassade de Chine à Washington fait savoir à l'organisation des droits de l'homme américaine Dui Hua que l'avocat Gao " travaille à Urumqi ", la capitale de la province du Xinjiang, à l'ouest du pays. C'est la première fois qu'une nouvelle précise filtre sur le disparu. Au début du mois de mars, lors de sa visite à Pékin, le chef de la diplomatie britannique, David Miliband, demande à ses interlocuteurs des nouvelles de Gao Zhisheng. Son homologue chinois, Yang Jiechi, se contente de répondre que les droits de l'avocat ont été respectés et qu'il n'a pas été torturé durant sa nouvelle détention.
Li Heping, avocat et ami de Gao, s'est déclaré certain que c'est bien avec son collègue qu'il s'est entretenu au téléphone : " Je le connais bien, et sa manière de parler, les expressions qu'il utilise, tout cela m'est familier ", a-t-il dit à l'AFP. Il a ajouté que son interlocuteur lui a précisé être " avec des amis " et qu'il allait devoir raccrocher, suggérant ainsi que des policiers lui indiquaient la marche à suivre en " protection rapprochée "...
Bruno Philip
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