mardi 9 mars 2010

La boîte à idées planétaire de Dominique Strauss-Kahn - Alain Faujas

Le Monde - Economie, mardi, 9 mars 2010, p. 13

Le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, a proposé, lundi 8 mars à Nairobi (Kenya), de créer un " Fonds vert " capable de mobiliser pas moins de 100 milliards de dollars (73 milliards d'euros) par an d'ici à 2020. Objectif : que les pays en développement puissent investir dans des technologies économes en gaz à effet de serre.

L'équipe dirigeante du FMI a constaté que le sommet de Copenhague, en décembre 2009, avait échoué faute de pouvoir partager équitablement le fardeau financier de l'urgence environnementale. Elle réfléchit à la possibilité de trouver de nouveaux moyens - et notamment des DTS (droits de tirage spéciaux), la " monnaie " du Fonds - pour lever les sommes nécessaires, en attendant que les taxes carbone et la générosité des pays riches permettent de subventionner ces équipements " propres " mais onéreux.

Ce " Fonds vert " soulèvera des réticences car la lutte contre le changement climatique ne fait pas partie des compétences du FMI. Et parce que l'injection de ces 100 milliards de dollars risque d'accélérer l'inflation mondiale de 1 % à 2 %, perspective qui horrifie les banques centrales.

" Les experts nous disent que le temps nous est compté ", a plaidé M. Strauss-Kahn à Nairobi. Autrement dit, que préfère la communauté internationale ? 1 % d'inflation supplémentaire ou bien 2°C de température moyenne de plus avec les catastrophes climatiques qui s'en suivront ? Un sommet de chefs d'Etat dans les règles de l'art - mais aléatoire - sur le financement de la lutte contre le réchauffement ou bien une réponse collective et rapide à un danger non moins collectif et inexorable ?

Inventivité keynésienne

Cette proposition peu orthodoxe est la dernière d'une série que le patron du FMI s'ingénie à enrichir de mois en mois pour envoyer à la réforme certaines " vaches sacrées " mondiales. En 2008, au début de la récession, il avait appelé les gouvernements à pratiquer des déficits budgétaires pour éviter une chute de la demande. Il avait avancé le chiffre de 2 % des produits intérieurs bruts, ce qui a été effectivement réalisé. Jusque-là, les déficits étaient honnis.

En 2009, il a proposé que le FMI devienne le prêteur en dernier ressort mondial et que les banques centrales lui confient une partie de leurs 8 000 milliards de dollars de réserve pour mutualiser celles-ci en cas de crise. Jusque-là, le mot d'ordre était " à chacun son magot ".

En 2010, lui et son équipe soutiennent que l'objectif d'inflation communément admis de 2 % pourrait être porté à 4 % quand la politique monétaire se révèle inopérante et qu'un contrôle des mouvements de capitaux peut être nécessaire quand ces flux déséquilibrent une économie. Jusque-là, l'inflation et les contrôles étaient voués aux gémonies.

Toujours en 2008-2009, sur les 19 plans de sauvetage élaborés par le FMI en faveur de pays pauvres, 16 ont prévu une hausse des dépenses sociales. Au Pakistan, le Fonds a encouragé le gouvernement à apporter une aide monétaire directe aux plus démunis. Jusque-là, les dépenses sociales figuraient parmi les premiers secteurs sacrifiés pour épurer les comptes.

Quand on lui fait remarquer que cette inventivité de type keynésien met à mal le fameux et très libéral " consensus de Washington ", M. Strauss-Kahn répond qu'il a adopté une démarche pragmatique. " Nous subissons une crise sans précédent. Pour éviter qu'elle se reproduise, nous devons en tirer les leçons et réfléchir même aux solutions inhabituelles. Le FMI doit se positionner comme une source de réflexion théorique. "

Ce rôle de boîte à idées planétaire n'en est qu'à ses débuts. En avril, M. Strauss-Kahn soumettra aux ministres du G20 une première mouture d'une taxation du secteur financier mondial. Il ne s'agira pas du prélèvement à but humanitaire dont rêve Bernard Kouchner, le ministre français des affaires étrangères, mais d'une sorte de police d'assurance d'autant plus onéreuse pour un établissement financier qu'il prendra plus de risques nécessitant un renflouement plus coûteux en cas de défaillance. Jusque-là, une taxe était inenvisageable.

Enfin, le 3 mai, Zhu Min, actuellement gouverneur adjoint de la Banque de Chine, prendra ses fonctions de conseiller spécial du directeur général du Fonds. Il sera chargé de superviser les pays émergents, mais aussi ce monde bancaire qui a fait tant de mal à l'économie mondiale. Jusque-là, le FMI était considéré comme un condominium américano-européen. Le successeur de M. Strauss-Kahn ne sera donc plus forcément un Occidental.

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