L'intérim se développe et la flexibilité s'accroît malgré des lois plus protectrices sur le contrat de travail
Avec sa petite cour intérieure où s'entassent les baluchons des nouveaux arrivants et sa salle de spectacle aux murs couverts de photos du fondateur, Quanshun Human Ressources a des allures de camp de jeunes pionniers. Située au coeur de Pinghu Town, un bourg-dortoir à quelques dizaines de kilomètres de Shenzhen (province du Guangdong), cette agence d'intérim recrute des ouvriers pour les usines de l'« atelier du monde ».
Un atelier qui manque de main-d'oeuvre bon marché. L'agence croule donc sous les demandes. « Nous avons constamment une vingtaine d'usines qui nous contactent. La plupart embauchent de 30 à 50 personnes. Certaines de 300 à 400 et parfois 2 000 », explique Hu Junfu, le vice-directeur, dans un bureau ouvert à tous les vents où trône un poster de Mao.
Une troupe de jeunes, bol de fer-blanc à la main, se rend à la distribution de soupe de nouilles. Après le repas, ils regarderont un film sur Zhang Quanshou, fondateur de la Quanshun. Ancien mingong (paysan ouvrier) venu de la province pauvre du Henan, comme M. Hu et la plupart des nouvelles recrues, il explique qu'il ne peut accueillir les nouveaux arrivants car il participe à Pékin à l'Assemblée nationale du peuple.
« Pénurie structurelle »
Avec pédagogie, l'entrepreneur et député, qui joue de sa ressemblance étudiée avec le Grand Timonier, incite ses ouailles à faire honneur à la Quanshun, à la province du Henan et à leurs parents. Des images le montrent, un collier de fleurs autour du cou, offrant une liasse de billets à une paysanne âgée qui pleure et s'agenouille.
« Notre cible, ce sont les jeunes les moins éduqués, qui ont du mal à trouver du travail, admet M. Hu. On tente de leur inculquer l'importance du travail et de pouvoir gagner de l'argent. Sinon, ils ne restent pas. » Une centaine d'agents recruteurs sillonnent le Henan en quête d'ouvriers, acheminés en bus à Shenzhen.
La Quanshun a mis au point un modèle économique de l'intérim made in China : les ouvriers sont logés et nourris par les usines, mais ne reçoivent que 40 à 50 euros par mois, soit le quart de leur salaire. Le reste est envoyé aux parents. En cas de chômage, la Quanshun les héberge, les nourrit et leur alloue 45 yuans (5 euros) par jour. Quand, il y a un an, près de 2 000 ouvriers s'étaient retrouvés sans travail pendant trois mois, cela avait coûté plusieurs millions de yuans à l'agence. Zhang Quanshou avait alors été célébré dans la presse pour son dévouement.
Désormais, ceux qui arrivent le matin trouvent souvent une usine le soir, assure M. Hu. Dans le Guangdong ou ailleurs. Car plus que le rebond des exportations, c'est la course à la baisse des coûts qui fait prospérer les agences d'intérim, notent les observateurs. Malgré l'adoption en 2008 de lois plus protectrices pour les travailleurs sur le contrat de travail, les usines, à la recherche de plus de flexibilité, externalisent les risques sociaux en ajustant leurs besoins de main-d'oeuvre au gré des saisons.
Les ouvriers sont en réalité moins payés. « En cinq ans, la part des jeunes nés après 1979 a atteint 50 % de la main-d'oeuvre ouvrière. Or, c'est la génération de l'enfant unique. L'économie croît simplement trop vite par rapport à la main-d'oeuvre disponible. La pénurie de travailleurs est structurelle, pas seulement dans le Guangdong, dit Liu Kaiming, directeur de l'Institute of Contemporary Observation, qui enquête sur le travail à Shenzhen. Les journaux prétendent que les salaires augmentent. En fait, les ouvriers sont payés à la pièce, donc les usines ajustent comme elles veulent le niveau des salaires. Sans pouvoir de négociation, les jeunes se tournent vers les services. Ou préfèrent rester à la campagne. Le modèle est en crise. »
Les nouvelles recrues de la Quangshun ont des attentes variées. Jun, 19 ans, originaire du Henan, est arrivé il y a 15 jours. Après 12 jours dans une usine, il veut changer. « C'était trop dur », dit-il. Il choisira un autre emploi ce soir. Un jeune cuisinier de 23 ans, venu du Gansu, a sauté dans un train après avoir vu à la télévision une interview de Zhang Quanshou. Il veut travailler 5 à 10 ans pour épargner 3 000 euros par an. Les salaires, croit-il, sont plus élevés à Shenzhen que dans le Gansu, et il pourra au moins compter sur quatre jours de repos par mois - contre aucun dans sa ville.
Li Peng, 25 ans, arrivé après 96 heures de train de la région de Mandchourie, est moins enthousiaste : il découvre qu'il ne pourra toucher qu'un quart de son salaire chaque mois. Or, dit-il, il aime dépenser. Il n'a aucune envie de travailler longtemps en usine : le jeu n'en vaut pas la chandelle. Il choisira une usine ce soir, puis il fera autre chose. Serveur ou coiffeur.
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