Pendant six ans, le Thaïlandais Vitit Muntarbhorn, rapporteur auprès des Nations unies sur la situation des droits de l'homme en République populaire démocratique de Corée (RPDC) aura été " la voix de ceux qui n'ont pas de voix ". Lundi 15 mars, ce professeur de droit de l'université de Bangkok, dont le mandat s'achève en juin, était à Genève pour la 13e session du Conseil des droits de l'homme, pour présenter son rapport.
Et tirer une fois de plus la sonnette d'alarme devant les violations en RPDC, qu'il qualifie de " flagrantes et endémiques ", estimant que " la situation ne cesse de s'aggraver ". Il décrit la Corée du Nord comme une vaste prison, un " Etat de la peur ", où sont érigés, selon lui, au moins six " gigantesques camps pour les prisonniers politiques et leurs familles ". Une experte de Human Rights Watch, Kay Seok, estime qu'ils sont à " 150 000 ou 200 000 " sur une population de 24 millions. Tortures, châtiments collectifs et exécutions publiques sont courants.
Le régime, dit encore M. Muntarbhorn, utilise " les ressources nationales au seul profit de l'élite dirigeante et de la nucléarisation du pays. En 2009, Pyongyang a ajouté dans la Constitution les mots de "droits de l'homme", mais ce même texte consacre une politique de "military first" - primauté du militaire - ". Durant ces années, il s'est vu refuser l'entrée du territoire nord-coréen. Mais il a sillonné les pays alentour : Corée du Sud, Mongolie et Japon, compilant les informations officielles et celles venant d'ONG. Il s'est entretenu avec une centaine de réfugiés nord-coréens.
" Programme nucléaire "
" J'ai encore en mémoire le visage de certains ", avoue-t-il. Comme ces enfants qui racontaient comment on les obligeait à assister à des exécutions capitales ou à travailler aux champs. Ou encore ces femmes souffrant de " multiples traumatismes ". " La plupart avaient payé des intermédiaires pour s'enfuir. Elles ont été victimes de mariages forcés, de prostitution et de viols ", raconte-t-il, estimant que " la question des réfugiés reste très sensible ". La répression contre les réfugiés nord-coréens, refoulés par certains Etats comme la Chine, s'est accrue. " Il y a six ans, ils étaient condamnés à une peine de rééducation; maintenant, on les met en prison, ainsi que leur famille ", dit-il.
Quant à la pénurie alimentaire, elle reste selon Vitit Muntarbhorn " d'une extrême gravité ". Outre les mauvaises récoltes de 2009 et la faiblesse de l'aide du Programme alimentaire mondial (PAM) destinée à 2 millions de personnes (au lieu des 6,2 millions prévus au départ), l'expert pointe la responsabilité de Pyongyang, qui " alloue une grande partie de ses ressources à son programme nucléaire ", et empêche la population de subvenir à ses besoins. " Entre 2000 et 2004, le gouvernement avait permis la naissance d'un secteur non étatique de petites exploitations ", rappelle-t-il.
Dès 2005, il faisait marche arrière. Les marchés étaient fermés. Les femmes de moins de 49 ans se voyaient interdire de faire du commerce, et les fermiers étaient contraints de fournir une partie de leur production aux militaires, alors que fin 2009, une réévaluation de la monnaie nationale, le won, débouchait sur une forte hausse des denrées alimentaires.
" Qui, dans ces conditions, peut protéger la population nord-coréenne ? ", s'interroge M. Muntarbhorn, plaidant pour que le mandat de rapporteur spécial qu'il laisse vacant soit renouvelé et que le Conseil de sécurité de l'ONU ou la Cour pénale internationale se saisissent du dossier.
Agathe Duparc
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