Tirs croisés sur Pékin. Mercredi 17 mars, c'est Dominique Strauss-Kahn, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), qui déclarait devant les parlementaires européens à Bruxelles que le yuan était " très sous-évalué ". Le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, lui a emboîté le pas en estimant sur BFM que le taux de change de la monnaie chinoise était " l'une des questions qu'il faudra résoudre si l'on veut réduire les déséquilibres mondiaux ".
Mais les plus fervents apôtres d'une réévaluation du renminbi (le yuan) sont encore et toujours les Etats-Unis. Elus, industriels et économistes américains s'en prennent violemment à Pékin à propos de la valeur de la devise chinoise, gelée depuis l'été 2008 autour de 6,83 yuans pour 1 dollar. Un niveau qui permet à l'" atelier du monde " d'exporter massivement des produits très concurrentiels tout en pénalisant les importations de biens américains à destination du marché chinois.
Les pourfendeurs du yuan attendent avec impatience la publication, mi-avril, du rapport semi-annuel du Trésor américain sur les taux de change. Le document pourrait accuser la Chine de " manipuler " le sien, un jugement qu'il s'est, jusqu'à présent, toujours interdit. En attendant, un groupe de sénateurs des deux bords a déposé, mardi 16 mars, une proposition de loi pour autoriser le département du commerce à sanctionner tout pays soupçonné de sous-évaluer sa monnaie. Explicitement visée : la Chine.
L'antienne est bien connue : aux prises avec un gigantesque déficit commercial (227 milliards de dollars en 2009 avec la Chine, soit 166 milliards d'euros), les Etats-Unis accusent régulièrement Pékin de fausser les règles de la concurrence, de précipiter les délocalisations et d'avoir causé des pertes massives d'emplois industriels. Entre 1,4 et 3 millions selon les syndicats. Mais dans le contexte de sortie de crise, ces critiques prennent une nouvelle ampleur.
Pour maintenir un yuan faible, la Chine achète massivement des titres libellés en dollars, finançant la croissance à crédit et les déficits américains. Or les Etats-Unis se voient contraints de repenser un modèle économique mis à mal par la crise. Le président Barack Obama plaide pour moins d'endettement, donc plus d'épargne et une maîtrise de la consommation. Alors que le taux de chômage outre-Atlantique flirte toujours avec les 10 %, M. Obama s'est engagé, jeudi 12 mars, à doubler les exportations américaines dans les cinq prochaines années afin de créer de nouveaux emplois.
" Cet objectif est rigoureusement impossible à atteindre sans une réévaluation du yuan à la fois très lourde et très rapprochée ", juge l'économiste Antoine Brunet, président d'AB Marchés. Selon l'institut américain d'économie internationale Peterson, le renminbi serait sous-évalué de 20 % à 40 % par rapport au billet vert. Fin février, l'économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, a estimé qu'une appréciation de 20 % du renminbi pourrait conduire à une augmentation de 1 % du produit intérieur brut (PIB) américain.
La polémique, aux Etats-Unis, a pris l'allure d'un combat national. Dans une tribune publiée dans le New York Times dimanche 14 mars, le Prix Nobel d'économie Paul Krugman appelle le gouvernement à frapper les produits chinois d'une taxe de 25 % pour " protester contre la politique de taux de change la plus distordue jamais appliquée par une nation industrialisée ".
L'économie américaine n'est pas seule pénalisée. Selon Françoise Lemoine, économiste au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii), " l'Europe pâtit de la dévaluation du yuan, autant voire plus que les Etats-Unis ". La devise chinoise étant arrimée au dollar, explique Mme Lemoine, la zone euro a dû faire face à une double dépréciation, " celle de l'euro/dollar et celle du yuan/dollar ". L'Union européenne est devenue le premier partenaire commercial de la Chine et accumule, elle aussi, un déficit commercial croissant.
Les responsables américains et européens exhortent donc les autorités chinoises à reprendre la lente réévaluation engagée entre 2005 et 2008 (+ 21 % au total). Mais à Pékin, on fait la sourde oreille. " Les pressions extérieures ont plutôt un effet négatif sur la Chine dont la politique de change ne répond qu'à des objectifs économiques internes ", affirme ainsi Mme Lemoine.
La croissance chinoise a certes été de 8,7 % en 2009 et devrait atteindre 9,5 % en 2010, selon la Banque mondiale. Les exportations de biens " made in China " connaissent un rebond impressionnant (+ 45,7 % en février sur un an). Mais Pékin souligne qu'elles n'ont pas encore retrouvé leur niveau d'avant-crise. Les pouvoirs publics ont à coeur de ménager les entreprises exportatrices qui représentent des dizaines de millions d'emplois.
Le premier ministre chinois, Wen Jiabao, répète à toutes les occasions que la " stabilité " de la monnaie est une contribution importante à la reprise économique, en Chine et dans le monde.
Quoi qu'il en soit, la Chine sait très bien qu'elle devra tôt ou tard laisser sa monnaie s'apprécier. Une étape nécessaire pour " être moins dépendante des exportations et s'appuyer davantage sur la consommation domestique ", explique Emmanuel Hermand, de la banque Nomura. Dimanche, à la clôture de la session annuelle du Parlement, Wen Jiabao a souligné deux priorités : maintenir la croissance économique en s'appuyant davantage sur la demande intérieure et prévenir les tensions inflationnistes.
Nombre d'experts mettent la Chine en garde contre le risque d'une surchauffe de son économie avec l'apparition de " bulles ", notamment dans l'immobilier. Après avoir augmenté fin 2009 le coût du crédit, Pékin pourrait donc tenter de jouer sur sa monnaie. Mercredi, la Banque mondiale a d'ailleurs recommandé à Pékin de " renforcer le taux de change " pour " aider à réduire les pressions inflationnistes ".
Marie de Vergès
© 2010 SA Le Monde. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire