La sécheresse aiguë qui touche le sud-ouest de la Chine, et dont l'épicentre, au confluent des provinces du Yunnan et du Guizhou et de la région autonome Zhuang du Guangxi, recouvre une superficie équivalente à plus de la moitié de la France, soulève de nouvelles questions sur la durabilité du modèle de développement chinois.
Certes, on se rassure en se disant que la mousson sera là dès le mois de mai. Mais c'est l'urgence sociale dans ces campagnes très pauvres et parfois extrêmement reculées, où l'armée assure des distributions d'eau potable.
Le premier ministre Wen Jiabao s'est lui-même déplacé mi-février, juste avant le Nouvel An chinois, dans la région de la ville de Hechi, dans le Guangxi, pour conforter les populations sinistrées.
L'impact du réchauffement climatique sur les glaciers tibétains, châteaux d'eau de la Chine mais aussi du reste de l'Asie, les conséquences de l'urbanisation et de l'industrialisation accélérées du pays, et notamment de tout le Sud-Ouest sous-développé mais cible d'investissements colossaux, l'exploitation frénétique du potentiel hydraulique de ses grands fleuves, sont autant de facteurs qui, à la faveur de cette nouvelle sécheresse, inquiètent les experts sur les risques maintes fois signalés, d'une crise systémique des ressources en eau en Chine : " Le système écologique chinois est très fragile ", explique le géologue Yang Yong, au retour d'un périple de quatre mois à travers cinq provinces du Nord-Ouest de la Chine, destiné à dresser un état des lieux des ressources en eau du pays.
La gravité de la sécheresse dans la province du Yunnan, qui partage une frontière avec la Birmanie et le Laos, a cette année des conséquences directes en Asie du Sud-Est. En Thaïlande où le Mékong a atteint un niveau très bas en cette période de saison sèche, des voix s'élèvent ces dernières semaines pour demander des comptes à la Chine. Quatre barrages sont opérationnels le long du Lancang, le " fleuve tumultueux ", nom chinois du Mékong. Quatre autres sont en projet. Si les barrages n'ont pas provoqué la sécheresse, la gestion discrétionnaire des volumes d'eau, en fonction des impératifs de rentabilité économique des centrales et, en cas de crise, des besoins de l'agriculture locale, peuvent l'aggraver. Un éditorial récent du Bangkok Post fustige le manque de transparence de la Chine, et les " dénis répétés et irresponsables " des officiels chinois.
Selon l'agence Chine nouvelle, près de 27 millions de personnes seraient directement touchées en Chine par la sécheresse actuelle, qui a commencé en septembre (l'hiver est traditionnellement une saison sèche) et a aussi frappé pendant plusieurs mois le Guangdong et le Hunan, frontaliers du Guangxi : 17 millions sont menacés de manquer d'un " accès normal " à de l'eau potable au Guizhou, où 86 des 88 villes de la province sont sinistrées. Huit millions de personnes sont concernées au Yunnan. Et 1,8 million dans la région autonome Zhuang du Guangxi, où douze des quatorze villes de niveau préfectoral que compte la région sont concernées par le manque d'eau.
Au Yunnan, toutefois, l'impact économique, mais aussi environnemental, a une autre dimension : la sécheresse aurait réduit de moitié la production agricole en provenance des plantations d'hévéa, de thé, de fruits et de fleurs, selon l'agence Chine nouvelle, soit une perte de 13 milliards de yuans (1,2 milliard d'euros). Les précipitations auraient été inférieures de 60 % sur la période de septembre à mars par rapport à leur niveau d'il y a un an. C'est la pire sécheresse en cent ans, selon la presse officielle. Deux millions d'hectares de terres agricoles, soit 86 % du total du Yunnan, seraient affectés, d'après le gouvernement de la province. Le magazine en ligne Caixing, connu pour ses positions critiques, déplore les projets somptuaires de certaines mairies, comme Chuxiong ou Honghe, la course aux investissements, et les faiblesses du système d'irrigation et de conservation de l'eau. Le manque d'eau affecte aussi la province du Sichuan et la municipalité géante de Chongqing, mais pas plus que les sécheresses précédentes de 2001 et de 2006.
" Frontière des neiges "
Pour l'écologiste Wu Dengming, fondateur de l'ONG Green Volonteer League, à Chongqing, le Yunnan est le plus affecté, car " le climat y est directement influencé par le plateau du Tibet. Or, le réchauffement climatique global a fait fondre les glaciers et le pergélisol. La "frontière des neiges" a reculé. Elle oscillait entre 4 600 et 5 500 mètres dans les années 1980, elle est systématiquement au-dessus de 5200, voire 5 500 mètres ", dit-il. Si le réchauffement est d'après lui le premier responsable de la sécheresse actuelle, celle-ci est exacerbée par les problèmes de qualité de l'eau : à Chongqing, certains cours d'eau, en zones rurales, sont devenus impropres à l'irrigation car l'eau est trop polluée, insiste-t-il.
L'agriculture et les techniques d'irrigation sont moins problématiques dans le Sud-Ouest de la Chine, zone essentiellement rizicole - les rizières sont inondées au moment de la saison des pluies - que dans la partie nord du pays, notamment la région de Pékin, frappée, elle, de pénurie structurelle.
Brice Pedroletti
© 2010 SA Le Monde. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire