jeudi 1 avril 2010

ANALYSE - Un siècle chinois ? - André Loesekrug-Pietri

Le Figaro, no. 20424 - Le Figaro, jeudi, 1 avril 2010, p. 14

Président du groupe capital-investissement de la Chambre de commerce européenne à Pékin, l'auteur montre comment, à propos du récent rachat du suédois Volvo par le chinois Geely, l'empire du Milieu place ses pions à travers

le monde. L'affaire est conclue : Geely, obscur constructeur chinois voici encore quelques années, met la main sur une marque automobile phare, Volvo. Même si Volvo est depuis longtemps en difficulté, et que l'intégration promet d'être douloureuse, doit-on céder aux inquiétudes d'un prétendu « nouvel impérialisme économique chinois »?

Quelle est la nature de cette puissance qui émerge de sa longue « torpeur » si bien décrite par Napoléon? Prédatrice ou modeste? Économique ou militaire? Responsable ou égoïste?

L'analyse de la source de cette puissance - positive, créatrice de valeur ou bien simplement basée sur le déclin d'autres régions - permet d'imaginer quelques pistes porteuses d'espoir - ou d'inquiétudes - pour le siècle à venir.

La croissance : le marché chinois est aujourd'hui d'un dynamisme insolent, représentant plus de 50 % de la croissance 2009. Des voix toujours plus nombreuses s'élèvent pour parler d'un marché progressivement fermé aux étrangers. Voire périlleux comme le montre l'affaire Rio Tinto. Il est indéniable qu'après trente années d'investissements internationaux, la montée en gamme technologique permet à certains acteurs locaux d'être à niveau. Doit-on accompagner le mouvement en profitant des dividendes (comme Airbus avec sa ligne d'assemblage de Tianjin ou Safran motorisant le futur concurrent de l'A 320)? Ou se retirer par crainte de transférer son savoir-faire et de créer ainsi des futurs concurrents? La voie suivie par des groupes comme Apple, pourtant massivement copié, ou Nokia, investissant dans un centre de R & D mondial, semble indiquer que c'est par l'innovation permanente que l'on peut tirer son épingle du jeu.

En termes géopolitiques, on est frappé par la construction progressive d'une puissance dans l'océan Indien : construction d'une base navale au Sri Lanka, annonce d'une immense zone économique spéciale à Suez. 40 % du financement estimé à 1,5 milliard de dollars seront apportés par Tianjin. L'Égypte, pourtant soutenue à bout de bras par l'Europe et les États-Unis, joue la carte chinoise.

Dans le domaine financier, le contraste entre stratégies occidentales et chinoises est éclatant : dans un secteur voué aux gémonies à l'Ouest depuis 2008, c'est au moment où les marchés s'effondrent que la Chine lance les ventes à découvert. Au moment ou la reprise est timide, le nouveau marché boursier ChiNext s'envole. Hongkong se positionne comme une place financière optimale en plein débat sur les paradis fiscaux. Et au moment où l'Europe pousse dehors les fonds d'investissement, le secteur explose en Chine, avec pour objectif affiché de financer l'innovation et bientôt la restructuration des sociétés d'État.

La guerre des talents fait rage. Les derniers mois ont vu jusqu'au fonds souverain chinois recruter à New York et à Francfort. Le fait que Londres soit récemment devenue une des villes les plus taxées encourage une fuite des talents vers Hongkong, Singapour, Shanghaï. Faute aux Chinois? Manque de clairvoyance aux États-Unis et en Europe, sûrement.

Sur les ressources, indéniablement, la Chine est prédatrice : mines, technologies, marques... C'est la conclusion naturelle de son statut d'usine du monde - qui a au passage largement enrichi les actionnaires du monde entier. Le risque de tension est réel, comme l'ont montré les affaires très médiatisées autour du fer australien. Ici aussi, certains groupes chinois n'ont fait que profiter de l'absence remarquée des acteurs internationaux, et l'absence de vision industrielle long terme en Europe est coupable : sur l'investissement en R & D avec l'échec de Lisbonne, sur les éco-industries avec les atermoiements sur le Grenelle de l'environnement.

Enfin, les nouvelles frontières : le commerce sino-africain représente aujourd'hui plus que le commerce entre les États-Unis et l'Afrique. Les relations avec le Brésil peuvent se mesurer à la présence de plus en plus nombreuse d'hommes d'affaires brésiliens à Pékin ou Hongkong. La Chine occupe la place laissée vacante d'une Europe encore hésitante entre son passé colonial et son abandon du continent africain depuis les années 1970. La tension est perceptible entre partisans d'un accompagnement de la dynamique chinoise et ceux invoquant des arguments moraux. Forts louables, mais peu crédibles eu égard au passé. Indéniable également le fait que la Chine a permis à de nombreux pays oubliés par la mondialisation d'investir un minimum...

On pourrait voir dans l'émergence d'une puissance chinoise la remise à niveau des pendules arrêtées voici plusieurs siècles. Mais il y a ce miroir inquiétant que nous renvoie un pays avec des valeurs différentes, une volonté de rattrapage farouche et un pragmatisme à toute épreuve. Tout autant que les indéniables réussites et la nouvelle confiance en eux des Chinois, ce sont les failles américaines ainsi que la déconstruction de l'Union européenne qui ont brutalement accéléré l'émergence de l'empire du Milieu.

«Tout autant que les indéniables réussites et la nouvelle confiance en eux des Chinois, ce sont les failles américaines ainsi que la déconstruction de l'Union européenne qui ont brutalement accéléré l'émergence de l'empire du Milieu»

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