mercredi 21 avril 2010

La Chine peine à juguler l'explosion des tensions dans le monde du travail

Le Monde - Economie, mardi, 20 avril 2010, p. MDE4

Entre ultralibéralisme et capitalisme d'Etat, la Chine peine à accoucher d'un système adéquat pour réguler des relations de travail explosives : les actions collectives se sont multipliées en 2009 et 2010, aussi bien dans les PME et groupes privés tournés vers l'exportation, dont la main-d'oeuvre est constituée de jeunes paysans migrants, que dans les secteurs plus traditionnels, comme la sidérurgie, où les tentatives de restructurer à la hussarde un groupe sidérurgique endetté du nord-est du pays ont conduit au meurtre du manager chargé de l'opération en juillet 2009.

Le mois suivant, un officiel de la Sasac, l'administration de tutelle des entreprises publiques, a été retenu 90 jours en otage par des ouvriers dans le centre de la Chine, lors d'une autre tentative de réorganisation d'une aciérie. L'ACFTU (All China Federation of Trade Union), la seule centrale syndicale chinoise, forte de 212 millions de membres, dont 70 millions de travailleurs migrants, a pour mission de défendre les intérêts du... Parti communiste : ses représentants dans les usines, quand il y en a, ne sont pas élus par les travailleurs, qui ne leur font guère confiance.

Or, les ouvriers chinois, jeunes ou moins jeunes, ne se laissent plus faire : la réforme de la loi sur les contrats de travail, en 2008, a suscité une prise de conscience de leurs droits parmi les travailleurs. Individuellement, ils ont de plus en plus de recours aux institutions, même si le processus est incertain et extrêmement long : les « comités d'arbitrage des conflits du travail » - les prud'hommes locaux - ont vu doubler le nombre de cas entre 2005 et 2008, pour atteindre 690 000 - une goutte d'eau toutefois, eu égard à la taille de la population active chinoise.

De même, selon la Cour suprême, le nombre de conflits de travail traités par les tribunaux a doublé entre 2007 et 2008, et a augmenté de 10,8 % en 2009 - au point d'engorger complètement le système, qui « ne peut répondre aux conflits collectifs, dont le nombre a fortement augmenté ces trois dernières années. Les comités d'arbitrage et les tribunaux souffrent d'un manque cruel de personnel », constate Geoffrey Crothall, porte-parole du China Labour Bulletin, une ONG basée à Hongkong. « Les procédures de résolution doivent être améliorées et rendues plus accessibles aux travailleurs, notamment dans les cas d'accident du travail. On ne peut pas dire que le système soit brisé, mais si rien n'est fait pour l'améliorer dans un futur proche, alors une crise grave pourrait éclater ! », poursuit-il.

Négociations

Le ralentissement économique, en 2009, a eu un effet paradoxal : il a poussé les autorités locales, sommées par le gouvernement central d'éviter à tout prix le chaos, à intervenir dans les cas de disputes collectives - par exemple en payant les salaires dus par les entreprises en faillite. Il y a même eu, selon Geoffrey Crothall, des négociations collectives de facto : « Dans les situations de crise, par exemple une grève [interdite en Chine], les autorités interviennent pour dire aux travailleurs de choisir des représentants afin de négocier avec la direction. Tout cela bien sûr est une forme très grossière et arbitraire de négociation collective, mais elle a pu avoir des résultats positif s. Mais de manière générale, la balance penche largement en faveur des employeurs. Les travailleurs n'ont à leur disposition que des ressources très limitées pour défendre leurs droits. »

China Labor Bulletin, animé par le militant Han Dongfang - emprisonné après les événements de Tiananmen, en 1989, pour avoir pris la tête d'un syndicat libre et aujourd'hui exilé à Hongkong -, estime que d'authentiques négociations collectives, menées par des représentants démocratiquement élus, représentent la façon la plus efficace de réguler les relations du travail en Chine. L'AFCTU cherche bien, elle aussi à promouvoir un système de négociations collectives annuelles, dont elle serait le pivot. Mais le modèle officiel de l'ACFTU exclut largement, voire complètement, les travailleurs du processus. « Aujourd'hui, les réunions symboliques entre la direction et les officiels de l'ACFTU aboutissent à des accords collectifs le plus souvent déconnectés des besoins des travailleurs », explique Geoffrey Crothall.

Brice Pedroletti

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