Il y a de quoi interloquer le plus blasé des observateurs de la vie politique chinoise : le premier ministre, Wen Jiabao, a écrit, il y a quelques jours, un article vantant les mérites d'un ancien chef du Parti communiste chinois (PCC) limogé, et dont la mort fut le déclencheur des manifestations de la place Tiananmen en 1989 !
Un « papier » d'autant plus étonnant qu'il a été publié dans Le Quotidien du peuple, l'organe central du PCC, et que Hu Yaobang, mort en 1989 deux ans après son renvoi pour « erreurs à propos de principes politiques importants », fut un réformateur d'une audace que la Chine n'a pas connue depuis. Il voulait combiner réformes politiques et économiques, dénonça au Tibet une « colonisation » par les Chinois Han et proposa que la région tibétaine soit administrée par des cadres tibétains du parti.
« J'ai personnellement constaté à quel point Hu Yaobang s'engageait dans son travail jour et nuit, travaillant pour le bénéfice du peuple et pour le parti », écrit Wen Jiabao dans cet article, dont la publication a coïncidé avec le vingt et unième anniversaire de la mort de l'ancien secrétaire général du PCC.
Prenant prétexte d'une récente visite au Guizhou, région déshéritée du sud, frappée par la sécheresse, le premier ministre chinois se livre à un très émotionnel éloge de M. Hu, qu'il avait un jour accompagné dans cette province : « Je garde dans mon coeur ses précieux enseignements. Son style et son attitude ont grandement influencé mon travail, mes apprentissages et ma vie », poursuit-il, rappelant à quel point l'ancien patron du parti tenait « autant que possible à connaître la réelle situation des masses populaires ». « J'écris pour dire à quel point il me manque », conclut-il.
L'initiative interpelle la communauté des observateurs. Comment interpréter ce que certains spécialistes décrivent comme une sorte de « secousse » politique ?
Luttes en perspective
A l'heure où l'actuelle direction de l'appareil fait preuve de la plus grande pusillanimité politique et donne l'impression d'être sur ses gardes en embastillant à tour de bras les critiques radicaux du régime, on a peine à déchiffrer l'intention de cette réhabilitation en règle du défunt symbole de l'ouverture politique chinoise des années 1980.
Certes, le rapport qu'entretient l'actuel pouvoir avec la mémoire de Hu Yaobang est des plus complexe : l'homme a été limogé par Deng Xiaoping pour avoir laissé se tenir des manifestations étudiantes en 1986, mais il a été le mentor de l'actuel président et chef du parti, Hu Jintao. Ce dernier fut adoubé politiquement dans la Ligue de la jeunesse communiste, à l'époque où Hu Yaobang en était président.
Pourtant, les anniversaires de sa mort passent en général inaperçus. Au point que le dissident Qi Zhiyong a été placé en résidence surveillée la semaine passée pour l'empêcher de fêter publiquement l'anniversaire du décès de Yu Yaobang.
Wen Jiabao veut-il laisser son empreinte avant de passer la main en 2012, lui dont la célèbre photo le montre sur la place Tiananmen, deux semaines avant le massacre du 4 juin 1989, au côté d'un autre libéral, l'ancien secrétaire général du parti Zhao Ziyang ? Est-ce l'annonce de luttes dans l'appareil, déjà tiraillé par les prémices du prochain congrès du parti en 2012 ? Cet article, qui fera date, risque de demeurer un moment une énigme. Rien ne permet en effet de le décrypter comme la promesse bien improbable d'une prochaine démocratisation du régime.
Bruno Philip
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