Le 26 mars 2010, selon les résultats d’une enquête internationale diligentée par les autorités sud-coréenne, une torpille nord- coréenne coulait un bâtiment sud-coréen faisant plus de 40 morts. Quelques semaines plus tard, à l’occasion d’exercices navals particulièrement impressionnants dans la région, des hélicoptères de la flotte chinoise survolaient à deux reprises à très faible distance, au prix de risques inconsidérés, un bâtiment des forces japonaises maritimes de défense. Un général chinois déclarait à cette occasion que les voisins de Pékin devaient « s’habituer » au retour de la marine chinoise dans sa zone. Dans le même temps, la RPC exécutait quatre trafiquants de drogue japonais sans susciter de réactions particulières de la part des autorités de Tokyo, ceci contrastant fortement avec la position de la Grande-Bretagne lors de l’exécution de son ressortissant en 2009.
Point commun à l’ensemble de ces cas, les réponses des principaux acteurs régionaux, Japon, Corée du Sud mais également Etats-Unis ont été limitées et prudentes. Rencontrant le président Hu Jintao à Washington à la suite du premier incident, le premier ministre Japonais Hatoyama choisissait la modération, rappelant à nouveau son désir de transformer la mer de Chine orientale en « océan de paix ». En dépit des condamnations exprimées, la position sud-coréenne se caractérise aussi par sa prudence même si le Président Sud-Coréen a appelé la communauté internationale à une réponse ferme face à la Corée du Nord. Aux Etats-Unis, tout en reconnaissant la gravité des actions menées, toute mesure de rétorsion militaire est exclue et les analystes hésitent à qualifier l’offensive de la Corée du Nord « d‘acte de guerre » en violation avec l’armistice de 1953. Ceci au risque d’une grave remise en cause des équilibres stratégiques dans cette région.
Acteur majeur, Pékin joue à son habitude l’apaisement et observe avec intérêt, depuis plusieurs mois, l’évolution embarrassante des relations de sécurité entre Tokyo et Washington. Loin de répondre aux offres d’ouverture des autorités japonaises, la RPC semble considérer que les circonstances sont favorables en Asie du nord-est au renforcement de ses positions. Tout apparaît en effet comme si, alors que la Chine poursuit une stratégie cohérente d’affirmation de puissance dans sa zone, avançant ses pions partout où la résistance de l’adversaire semble amoindrie, les puissances régionales et leur protecteur américain étaient tentés par l’apaisement au risque d’une finlandisation de l’Asie du Nord-est.
Les progrès de la régionalisation économique autour du géant chinois sont évidemment pour beaucoup dans cette évolution. A la crainte des tensions et d’une montée aux extrêmes, s’ajoute, contrairement à la situation qui prévalait avec l’Union soviétique, la séduction d’échanges économiques particulièrement florissants.
La Corée du Nord, de part la nature de son régime se trouve aujourd’hui de plus en plus soumise à l’influence du voisin chinois qui poursuit dans la péninsule, comme en Birmanie et dans les pays frontaliers les plus vulnérables de son pourtour, une stratégie d’expansion fondée sur le développement des investissements, la mainmise sur les infrastructures et un commerce transfrontalier d’autant plus dynamique qu’il échappe pour une large part à tout contrôle. Séoul s’inquiète de cette mainmise chinoise, qui repose aussi sur une indifférence aux risques que ne partagent pas les entreprises sud-coréennes. La réaction qui domine en Corée du Sud semble être toutefois de considérer chaque jour un peu plus que toute solution en Asie du nord-est ne peut passer que par un accommodement accru des intérêts de la RPC, ainsi confortée dans sa stature de principal acteur régional.
Le Japon de son côté, au moins l’actuel gouvernement, aimerait ne plus avoir à choisir entre l’Asie, c'est-à-dire Pékin, et Washington. Le drame du Japon, et dans une certaine mesure de la Corée du Sud, est d’être des puissances démocratiques, ouvertes sur le monde et essentiellement « post-guerre froide », dans un contexte stratégiques qui est resté très profondément marqué par l’esprit de guerre froide et même par celui de la fin du XIXème siècle en Europe, quand les « intérêts vitaux » se résumaient aux questions d’honneur national et de revendications territoriales. Le régime chinois en effet considère la période actuelle, et les volontés d’apaisement de l’ensemble de ses partenaires, comme autant d’opportunités pour accroître sa zone d’influence au moindre coût alors que le monde traverse une crise sans précédent et que les principales puissances, à commencer par les Etats-Unis , sont au contraire tentées par une « pause stratégique ».
Evidemment, contrairement aux espoirs exprimés ici où là, ce décalage dans les perceptions, les attentes et les stratégies mises en œuvre est porteur de graves déséquilibres potentiels.
Car contrairement à ce que peut-être espère Pékin on veut encore croire que sur le chemin d’une finlandisation rampante l’ensemble des puissances régionales et leur allié américain sauront s’arrêter à temps.
Marianne, no. 684 - Repères Monde, samedi, 29 mai 2010, p. 55
Chine. De quoi la Corée est-elle le nom ? - Philippe Cohen
La récente attaque maritime nord-coréenne contre Séoul n'a guère suscité de réactions, malgré les 40 morts qu'elle a provoqués. Après quelques protestations de forme du gouvernement sud-coréen, Hillary Clinton a bien vite déclaré que les Etats-Unis s'en remettaient, sur ce dossier, à la sagesse chinoise. Selon Valérie Niquet, nouvelle responsable du pôle Asie de la Fondation pour la recherche stratégique, cette molle riposte est à rapprocher de la faible réaction du Japon après la condamnation à mort en Chine de quatre de ses ressortissants (pour trafic de drogue) et l'annonce, par un général chinois, que les bâtiments japonais devaient s'habituer " au retour de la marine chinoise dans la zone ". A en croire Valérie Niquet, la diplomatie économique de Pékin est en train de porter ses fruits : les puissances démocratiques asiatiques, Japon et Corée du Sud, glissent vers une " finlandisation rampante " avec la bénédiction de Washington, de plus en plus orienté vers un G2 sino-américain pour gérer les affaires du monde. Notons cependant une différence notoire avec le précédent soviétique : l'URSS n'offrait qu'une protection (ou une menace) militaire à ses voisins, la Chine leur propose, elle, du doux commerce.
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