Le professeur à l'Université baptiste de Hongkong explique pourquoi Pékin veut maintenir le régime de Kim Jong-il.
La Chine, deuxième puissance mondiale, donne une fois de plus l'impression d'une grande impuissance face à la crise en cours dans la péninsule coréenne. Mais est-elle vraiment impotente? La République populaire montre surtout qu'à ses yeux le maintien à bout de bras du régime de Kim Jong-il passe avant toute coopération pleine et entière avec la communauté internationale, au risque de porter atteinte non seulement à son image, mais aussi à ses relations avec la Corée du Sud, le Japon et les États-Unis.
À l'évidence, le gouvernement chinois sait parfaitement que c'est la Corée du Nord et très probablement Kim Jong-il lui-même qui sont responsables du torpillage en mars dernier de la corvette Choenan, provoquant la mort de 46 marins sud-coréens. Alors pourquoi ce refus de reconnaître la réalité et pourquoi cet immobilisme?
Premier partenaire économique de Pyongyang, loin devant Séoul, Pékin est la seule capitale qui possède les moyens d'exercer des pressions qui font mal sur le régime nord-coréen. Parallèlement, en dépit d'un fossé idéologique béant avec le Parti du travail nord-coréen, le PC chinois jouit d'un accès direct à Kim Jong-il, comme l'a encore montré il y a peu la visite semi-secrète de ce dernier en Chine, visite au cours de laquelle l'incident du Choenan n'a pu qu'être évoqué.
Évidemment, l'on peut imaginer que cette affaire ne sert pas les intérêts du président Hu Jintao ni de son premier ministre, Wen Jiabao, alors que ce dernier s'apprêtait à se rendre à Séoul puis à Tokyo. Certaines sources font également état de divergences, notamment entre les diplomates et les militaires chinois, les premiers disposés à s'associer à des sanctions internationales supplémentaires contre la Corée du Nord, les seconds plus inquiets de la montée de la tension dans la péninsule et surtout plus préoccupés par l'avantage que le grand rival américain et le petit (ou moins grand) rival japonais pourraient tirer de cette nouvelle crise.
Toutefois, les récentes gesticulations de la marine chinoise autour d'Okinawa ont bien montré que l'objectif numéro un non seulement de l'Armée populaire de libération mais aussi de la direction du PC chinois demeure l'affirmation de la puissance chinoise en Asie orientale et, de plus en plus, par-delà la première chaîne d'îles que constituent justement Okinawa et Taïwan.
Il est clair que cette crise a contribué à resserrer les liens de solidarité stratégiques entre la Corée du Sud, le Japon et les États-Unis, acculant la Chine à faire un choix qu'elle ne veut justement pas faire. Mais par-delà ses hésitations, le gouvernement chinois est et restera probablement ambivalent à l'égard des agissements de la Corée du Nord et rétif à toute sanction véritable parce que cette ambivalence sert ses intérêts stratégiques et politiques.
Le danger suprême pour Pékin demeure et demeurera un effondrement du régime de Pyongyang car celui-ci pourrait précipiter un changement à son détriment de la donne stratégique dans la zone. Il rapprocherait un allié de Washington de sa frontière et renforcerait à son désavantage l'influence économique de Séoul au nord de la péninsule. Bien que cette éventualité soit par définition imprévisible, les autorités chinoises font tout leur possible pour stabiliser, voire consolider le régime nord-coréen, édulcorant l'application des sanctions passées auxquelles elles se sont pourtant associées, notamment après l'essai nucléaire de 2009 et fournissant à ce régime toute l'aide économique nécessaire pour survivre et pouvoir défier les pressions internationales.
Cette ambivalence, que certains qualifieront de duplicité, n'est pas limitée à la Corée du Nord; l'on pense évidemment à l'Iran où là aussi la Chine pourrait finalement approuver des sanctions molles et qui n'auront aucune chance de contrarier les agissements du pays visé.
Cette politique présente un coût notamment en matière d'image internationale de la Chine ou même pour ce qui concerne les relations entre ce pays et ses principaux partenaires économiques et diplomatiques. Mais le prix à payer par Pékin paraît bien faible, tant ces partenaires sont aujourd'hui tributaires du fournisseur, du client... et du banquier chinois, que ce soit la Corée du Sud, le Japon ou les États-Unis. On peut même aller plus loin : la politique complaisante de Pékin à l'égard de Pyongyang, de Téhéran ou de Khartoum ne lui coûte rien. Alors pourquoi changerait-elle de politique?
Auteur de « La politique internationale de la Chine : Entre intégration et volonté de puissance », Presses de Sciences Po.
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