Le Point, no. 1965 - Economie, jeudi, 13 mai 2010, p. 94,95
Conquête. Quand les géants de l'auto-mobile sombrent, le sud-coréen rafle la mise.
«Abandonnez votre Toyota et recevez une Hyundai neuve et une prime de 1000 dollars. » C'est le marché sans pitié proposé par le constructeur sud-coréen sur les shopping malls américains, au moment même où le numéro un mondial japonais est déstabilisé par des procès à répétition aux Etats-Unis. Hyundai n'a pas hésité à s'engouffrer dans la brèche ouverte par le passage à vide du géant nippon.« C'est une opportunité face à notre rival de toujours », assène, pas très fair-play, le vice-président, Sean Kim, dans son bureau qui domine le quartier des affaires de Séoul.« Nos voitures n'ont plus rien à leur envier ! » explique Kim, pressé de s'affranchir du modèle japonais.« Le véritable objectif de Hyundai est de détrôner Toyota », explique Park Sang-do, spécialiste auto à la chambre de commerce européenne à Séoul.
Depuis un an, tout semble réussir au constructeur sud-coréen. La Berezina japonaise vient couronner une année 2009 exceptionnelle qui a vu les ventes de Hyundai et de sa marque soeur Kia s'envoler, propulsant le groupe au quatrième rang mondial. Alors que les concurrents américains, japonais et européens mettaient un genou à terre, sous le coup de la récession, Hyundai-Kia écoulait 4,75 millions de véhicules, contre 4,1 avant la crise. Deux fois plus que Renault. Avec des chiffres de croissance à donner le tournis à des rivaux dont les ventes plongeaient, à l'exception de Volkswagen : plus 93 % de voitures vendues en Chine, plus 65 % en Turquie, où Hyundai détrône la marque au losange. Et plus 13,6 % sur le marché déprimé de l'UE.
Au moment où les consommateurs se serraient la ceinture, les coréennes ont raflé la mise grâce à des prix ultracompétitifs, profitant à plein de la prime à la casse. Et grâce à une stratégie marketing astucieuse : Hyundai promet à tout acheteur américain de reprendre sa voiture s'il perd son emploi dans l'année. Une agressivité qui a permis au challenger de Séoul de passer devant le monument Ford et de se placer en embuscade derrière le trio de tête, Toyota-GM-VW.« Ils n'ont plus rien à envier aux grands », admet le PDG de Renault Samsung, Jean-Marie Hurtiger. Mais, à l'inverse de Daewoo, dont le succès avait tourné court dans les années 90, Hyundai s'installe dans la durée. Et attaque 2010 avec appétit. Objectif : 5,4 millions de véhicules.
Dans la double tour Hyundai-Kia à Yangjae, au sud de Séoul, on savoure le chemin parcouru depuis les années 90, lorsque la marque était la risée des talk-shows américains.« Comment doubler la valeur d'une Hyundai ? En faisant le plein », s'esclaffaient les présentateurs. Humiliations qui ont conduit à un changement stratégique décisif en 2000, lorsque Chung Mong-koo, le fils du fondateur du deuxième chaebol (groupe d'entreprises) de Corée par la taille - après Samsung-, prend les commandes. Le nouveau patron fait de la qualité sa priorité numéro un, investissant des sommes colossales pour mettre ses voitures au standard des pays développés. Ce lève-tôt impose à son management d'être au boulot dès 6 heures du matin. La devise : « Faire les meilleures voitures du monde ».« En Corée, on compare souvent Samsung à James Bond. Hyundai, c'est plutôt Rambo : le chef fixe une mission impossible et ses troupes doivent la remplir coûte que coûte », explique un ancien cadre. Une méthode de parachutiste qui porte ses fruits après dix ans d'efforts.
Cette insolente réussite cache bien ses secrets. D'abord une diversification géographique précoce qui a permis de limiter la dépendance vis-à-vis des marchés américain et européen saturés. Début 2000, avant Toyota, Hyundai fait des pays émergents sa priorité et s'installe en Inde et en Chine. L'Asie absorbe 44 % de ses ventes, contre 36 % pour l'UE et les Etats-Unis réunis (données 2008). Le Brésil, la Russie et l'Asie du Sud-Est sont les cibles prioritaires pour 2010.
Obsession. De plus, le groupe possède une botte secrète : le patriotisme de 50 millions d'habitants et un marché sud-coréen, qu'il domine à 80 %, protégé par de subtiles réglementations. Et où il s'offre des marges confortables qui lui permettent de vendre moins cher dans les autres pays. La chance est aussi au rendez-vous, avec l'effondrement du won coréen, consécutif à la crise de Wall Street, qui lui a offert un avantage compétitif en pleine tempête. Un petit plus qui disparaît avec la remontée de la devise et l'ouverture de nouvelles usines proches des débouchés d'exportation, comme en République tchèque, en 2009. Pour la première fois, cette année, plus de la moitié des Hyundai seront fabriquées hors de Corée, signe de la dimension planétaire du constructeur.
Comment devenir maître du monde ? Pour tutoyer Toyota, le constructeur sait qu'il doit franchir un nouveau palier : faire de Hyundai une marque désirable.« Ce qui leur manque, c'est une véritable image. Les gens achètent Hyundai pour le prix, pas pour la marque », analyse un concurrent. Un constat qui pousse l'apprenti géant à faire du design sa nouvelle obsession. A l'image des courbes audacieuses de la dernière version de sa berline Sonata qui ont surpris les observateurs, les modèles 2010 jouent la carte de la séduction.« C'est un moment charnière pour la marque. Le défi, c'est de sortir du rationnel pour aller vers l'émotionnel », résume Patrick Gourvennec, DG de Hyundai France. Grâce à ses centres de design répartis sur chaque continent, Hyundai veut proposer un style qui inspire partout dans le monde.« Nous voulons devenir une griffe internationale », affirme Sean Kim. C'est tout le sens du pari de l'Equus, une grosse cylindrée à 60 000 dollars qui va sortir aux Etats-Unis.
Ces ambitions suscitent le scepticisme d'experts qui soulignent l'ampleur du fossé séparant encore Hyundai du sommet.« Dévorer des parts de marché, c'est une chose, mais ce qui compte, ce sont les bénéfices », pointe Park Sang-do, qui estime que les marges du constructeur sur le marché américain sont minimes. Le coeur de cible de Hyundai reste la voiture de milieu de gamme. Avec le risque d'être concurrencé d'ici à dix ans par les constructeurs indiens et chinois.
Autre handicap, des investissements insuffisants en recherche et développement et dans la voiture écologique,« loin derrière ceux des concurrents », souligne Bok Deuk-kyu, du Samsung Economic Research Institute. Et puis il y a LA grande faiblesse du groupe : des relations sociales tendues avec de puissants syndicats. Devant l'usine d'Ulsan, le plus grand complexe mondial de production de voitures, les haut-parleurs engagent les travailleurs à rester unis face à la direction. Comme pour rappeler au visiteur que l'impressionnante machine Hyundai peut aussi s'enrayer. Telle la mitrailleuse de Rambo
Ligne droite
1967 Fondation de Huyndai Motors pour assembler des Ford Cortina.
1999 Acquisition de Kia.
64 milliards d'euros de chiffre d'affaires (2009).
2,83 milliards d'euros de bénéfice net (2009).
4,75 millions de voitures vendues (2009).
1,88 % Part de marché en France (2009).
Source : Hyundai-Kia, CCFA.
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