En 2010, l'indépendance des Etats africains reste-t-elle à conquérir ?
Jean Ping : Il est vrai que la plupart de nos pays ont obtenu l'indépendance en pleine guerre froide. Pour assurer leur sécurité, il leur a fallu s'aligner. Les espoirs d'autonomie économique ont été déçus. Dans les années 1990, alors que les pays du Nord renforçaient leurs Etats pour assurer leur sécurité, ils ont affaibli les nôtres. Place aux marchés, aux ONG, à la décentralisation ! Les conséquences de cette marche arrière ont été terribles. Des Etats faillis comme la Somalie sont même apparus, et il faut aujourd'hui les reconstruire.
Aujourd'hui, les pays émergents se ruent sur l'Afrique. Est-ce un contexte favorable à une nouvelle émancipation ?
L'évolution vers un monde multipolaire, la montée de la Chine et d'autres puissances modifient l'organisation de la planète. Nous devons en tenir compte, nous adapter. L'Asie est un modèle de réussite. Nous ne devons pas le copier mais nous en inspirer.
L'Afrique a été récemment secouée par une série de coups d'Etat. Partagez-vous le constat d'une régression démocratique du continent ?
Avec quatre coups d'Etat en sept mois, il semble naturel de parler de régression, et c'est terrible. Mais, en même temps, on constate une avancée du processus démocratique dans une vingtaine de pays. Regardez le Ghana ou le Botswana ! La tendance générale est à l'approfondissement de la démocratie, même si elle connaît des fluctuations. Le rôle de l'Union africaine consiste à ramener l'ordre constitutionnel. Nous avons cherché à le faire systématiquement. Il nous reste à régler le cas de Madagascar.
Considérez-vous le maintien de bases militaires françaises comme des entraves à la souveraineté des Etats ?
Oui, ce sont des survivances qui doivent faire l'objet d'un réexamen. Mais des bases militaires américaines existent en Europe et en Asie. Les Etats africains et la France ont une volonté commune de renégocier, et la tendance est à la fermeture.
Et le franc CFA, est-ce une survivance coloniale ?
Un système comparable fonctionne en Amérique latine, où certaines monnaies sont alignées sur le dollar. En Afrique même, plusieurs systèmes coexistent : au Liberia, les dollars circulent, tandis que les pays anglophones possèdent des monnaies indépendantes. L'avenir est aux monnaies communes correspondant à des marchés communs régionaux, voire au marché continental. Nous en discutons actuellement. A l'Union africaine, nous étudions la perspective d'une banque centrale et d'un fonds monétaire africains.
Mais n'est-ce pas un voeu pieux, étant donné les divisions au sein de l'UA, qui ressemble à un syndicat de chefs d'Etat ?
L'Union africaine, c'est vrai, n'est pas encore une organisation supranationale. Pas plus que l'Union européenne d'ailleurs. Mais votre critique n'est plus fondée : nous avons condamné un Etat comme le Niger - lorsque l'ancien président Tandja a manipulé la Constitution pour rester au pouvoir - . Faites-vous cela en Europe ? Nous sommes intervenus pour rétablir la démocratie aux Comores, nos soldats sont présents au Darfour et en Somalie.
Mais vous vous opposez au mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) visant le président soudanais Omar Al-Bachir pour " crimes contre l'humanité " au Darfour.
C'est un autre problème : nous ne voulons pas d'une justice à deux vitesses. Les Etats africains sont souverains et certains n'acceptent pas cette démarche de la CPI. Après tout, les Etats-Unis et la Chine n'y adhèrent pas ! Nous pensons aussi que, au Darfour, la justice est indissociable de la paix et de la réconciliation.
Qu'attendez-vous du sommet Afrique-France qui s'est ouvert à Nice ?
Il concerne les Etats. En tant que représentant de l'Union africaine, je n'y suis qu'observateur.
Vous avez tout de même un avis sur les relations franco-africaines !
Le monde change, l'Afrique et la France aussi. Je ne parlerai pas de rupture, mais d'adaptation.
Quelle place revendiquez-vous pour l'Afrique au Conseil de sécurité des Nations unies ?
L'Afrique revendique deux sièges de membre permanent, l'Europe, qui en a déjà deux, en souhaite un supplémentaire. Pour disposer d'un siège, il faut obtenir 129 voix sur 192 Etats. L'Europe représente 27 voix et doit en trouver ailleurs. L'Afrique dispose de 53 voix. Nous sommes prêts à discuter d'un soutien réciproque.
Mais de nombreux pays comme l'Afrique du Sud, le Nigeria, l'Egypte et le Sénégal prétendent représenter l'Afrique. Comment trancherez-vous ?
Que les Africains s'entendent entre eux ou non, l'Assemblée générale des Nations unies les départagera.
Propos recueillis par Philippe Bernard
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